Critique de The Lodgers de Brian O’Malley

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Vers 1920 en Irlande, les jumeaux Rachel et Edward vivent reclus dans l’immense manoir familial près d’un lac. Ils vont fêter leur 18 ans, mais sont tenus par des règles. Ils ne doivent pas se séparer ou accueillir un étranger. A minuit précise, ils reçoivent chaque soir des visiteurs surnaturels qui sont une menace en cas de désobéissance. Mais qui sont ces terrifiants protecteurs ? Et que peut le jeune domestique revenu de la guerre et tombé amoureux de Rachel ?

Les visiteurs ne sont pas seulement nocturnes ; on les voit aussi se manifester en plein jour au-dessus du lac à proximité. Ce sont des corps nus en suspension qui donnent l’impression de léviter ou de flotter quand l’atmosphère devient humide. Cette conversion de l’élément aérien en élément liquide, lourd et amniotique, offre une représentation de ce qu’on nomme « corps de lumière », mais ici débarrassée de toute connotation religieuse. Les êtres ne sont pas transfigurés puisque d’abord vus de dos et, lorsqu’ils se retournent, leurs visages ne rayonnent pas. A midi en pleine nature, la lumière naturelle les rend presque transparents mais, à minuit dans le manoir ou dans la citerne, ils émettent une lumière blafarde et leur blancheur est celle des cadavres.

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Lorsque Sean, le soldat boiteux, se fait agresser par la bande du village, on peut l’imaginer ensuite gravement blessé, le visage tuméfié. Or, à la séquence suivante, il apparaît nu, remontant lentement l’escalier du manoir, sans aucune difficulté. Son corps immaculé porte toujours la marque de l’amputation mais ce n’est plus un handicap. Le moignon droit se pose sur la marche supérieure en équilibre avec la jambe gauche, ce qui est impossible. Et pourtant la démarche est sûre. Il se détache du sol et rejoint Rachel qui l’imite. Lors de l’étreinte au bord du lac, Rachel exige de Sean qu’il ôte sa prothèse et lui effleure le membre amputé. Dans la scène de l’escalier, le corps garde les signes extérieurs de la morphologie humaine mais il a muté suite à une opération quasi-alchimique.

La citerne du manoir communique avec le lac. Quand les visiteurs pénètrent dans le manoir, ils le font par la citerne en soulevant la trappe. On les voit se traîner lamentablement sur les marches au lieu de s’élever glorieusement. La substance des corps mortels n’a pas complètement changé de nature. L’amour entre Rachel et Sean les élève tandis que les passions viles des fantômes les font ramper. Une vie infra-humaine continue d’animer les cadavres sans les régénérer. L’opposition se traduit spatialement par une inversion de la gravitation : l’eau qui suinte de la trappe forme des gouttes qui tombent vers le plafond et façonnent même une colonne liquide comme un cône de lumière. Cet axe vertical se dirige vers le ciel mais aussi vers l’abîme où le corps du notaire est jeté.

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Quand Rachel est happée vers le bas, Sean décide de plonger dans la citerne pour la retrouver. Nous découvrons que le monde souterrain des visiteurs est l’image inversée de la maison, mais d’un manoir sous les eaux, encore plus sombre et plus glauque que le manoir terrestre. S’explique alors le sens d’un des versets de la comptine apprise aux enfants par leurs parents : « Vous nous verrez par en-dessous ». Le monde des vivants est situé symboliquement à un niveau inférieur à celui des morts. Mais si les morts n’ont pas mérité le ciel, ils iront en enfer. Les ancêtres des deux jumeaux sont restés propriétaires pour l’éternité et leur damnation fait le malheur de leurs enfants. C’est Rachel et Edward qui sont les « locataires » (Lodgers) du titre et Rachel finit par quitter les lieux.

Il est dommage que le scénario n’apporte pas de raison convaincante à cette damnation. Le motif incestueux, reconduit de génération en génération, paraît un peu tiré par les cheveux. Quant à l’arrière-plan historique de la Guerre d’indépendance irlandaise, il est curieusement exploité. La « honte » des propriétaires fantômes ne fait-elle pas écho à l’engagement de Sean aux côtés de l’armée britannique ? Mais il n’est pas clairement dit que les parents aient « collaboré », pour autant que cette expression ait un sens dans ce contexte historique précis.

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