Manchester By The Sea de Kenneth Lonergan

Scénariste sur le film Gangs of New York (2002) réalisé par Martin Scorsese, Kenneth Lonergan nous prouve qu’il est aussi bien capable de refléter la violence physique que morale et psychologique. Manchester By The Sea n’a rien, aux premiers abords, d’un film dur, et pourtant il l’est. Lonergan nous tourmente et fait se tortiller violence et souffrance, au point que ces deux thématiques ne fassent plus qu’une.

Synopis

Lee Chandler vit seul dans un appartement miteux à Boston. Il répare la plomberie, change les rideaux, nettoie les feuilles mortes dans les jardins avoisinant son appartement. Sa vie est monotone et pleine de solitude. Rien ne l’intéresse, même pas les jolies femmes.

Ce quotidien est quelque peu chamboulé lorsqu’un jour, il reçoit un appel provenant de Manchester By The Sea, sa ville natale, qui lui annonce que son frère aîné vient de décéder et qu’il l’a nommé tuteur légal de son fils unique, Patrick, 16 ans. Confronté à un retour choc dans un passé qu’il souhaitait oublier, Chandler doit, en plus, gérer l’éducation d’un ado qu’il connaît à peine.

 

Critique

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Manchester By The Sea est un drame à la fois social et familial. Au premier abord, il peut sembler creux, sans but précis et surtout d’une lourdeur palpable. En réalité, cette lourdeur ne provient pas d’un film mal maîtrisé mais d’un sujet intense et tranchant qui n’autorise l’utilisation d’aucun filtre.

Cette lourdeur, nous la ressentons également à travers l’introduction à un personnage peu intéressant, un reclus, un loser. Lee Chandler, campé par un Casey Affleck particulièrement talentueux, est un casanier, peu bavard (très peu bavard même). Il n’a presque aucun dialogue dans le film. Ce qui est, paradoxalement, à la fois rafraîchissant et perturbant. Car, dans certaines scènes, dans lesquelles la parole devrait être servie comme un baume sociable incontournable, Lee ne dit tout simplement rien, et ceci sans aucune gêne particulière. Ce qui, bien entendu, rend la scène gênante pour nous et pour ses interlocuteurs.

Lee est de ces personnages décalés, cyniques, alcooliques, qui broient littéralement du noir. Le réalisateur ne montre pas, de ce fait, un personnage à l’aube de sa vie mais nous dévoile une pauvre âme, se mêlant à la foule, essayant de survivre à une vie qui ne semble pas le combler. Il détient un lourd secret et ceci, nous le percevons dès le début du film, car personne ne peut être aussi misérable de manière aussi gratuite. Et c’est pourtant ce qui nous est montré ! La gratuité de son malheur en début de film.

Tout change lorsque Lee reçoit un appel téléphonique lui annonçant la mort de son frère aîné, Joe. La nouvelle, en soi, n’est pas la plus ensoleillée, et ce n’est pourtant pas ce qui perturbe le plus Lee. Joe avait un fils unique, Patrick, 16 ans, laissé à lui-même après la mort de son père. La mère de Patrick étant complètement instable et alcoolique, Joe a tenu à confier Patrick à son frère Lee, en le nommant gardien légal. Nous savons donc que la mère de l’adolescent est une droguée et nous comprenons pourquoi elle ne fait clairement pas partie de la liste des personnes pouvant prendre en charge Patrick. Mais Lee ? Pourquoi le choix de Joe s’arrête-t-il cet individu tout aussi instable ? Ce solitaire, dépressif, anti-social et tellement nerveux qu’il saute sur la première opportunité de déclencher une bagarre dans les bars ?

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Le film s’immisce, à la suite de cette décision farfelue, dans la relation que tente de construire Lee et Patrick. Patrick est en pleine phase d’adolescence: il sort avec deux filles en même temps, sans qu’aucune d’elle ne le sache; il semble avoir une bonne place dans son équipe de Hockey; il a un cercle d’amis proche; et il aime sa ville et surtout sa vie. Il paraît donc évident que ce soit Lee qui vienne emménager à Manchester By The Sea, pour s’occuper de son neveu. S’ensuit ainsi une froideur constante qui suit Lee partout. En plein hiver, les villes sont peintes d’un blanc/gris pesant. Les atmosphères sont rarement chaudes et chacun des personnages doit faire face à un hiver mais aussi à une nouvelle glaçante.

Le film est très finement réalisé et certaines scènes sont même glacialement drôles. L’humour est pointu et n’est pas reflété par une blague en particulier, mais par un sens de l’ironie et un décalage, souvent reflété par Lee. L’une des scènes les plus absurdes et drôlement amenée concerne le moment où un ami de la famille dit à Lee qu’il serait ravi d’accueillir Patrick de temps en temps, pour les week ends, notamment. A ce moment, Lee lui demande sans gêne s’il serait littéralement prêt à devenir le gardien de Lee, montrant clairement sa réticence quant au choix initial de son frère. Michelle Williams, qui incarne l’ex de Lee, n’apparaît que très peu et est surtout là pour appuyer le lourd passé de Lee, qui la concerne directement. Elle partage l’affiche avec Casey Affleck quand, en réalité, cela devrait être Lucas Hedge (Patrick) qui devrait la partager avec lui en terme de complicité, de moments passés ensemble, mais surtout de message exprimé.

Un point intéressant à mentionner concerne le montage du film de Lonergan: il a ainsi préféré jouer sur les subtilités du mystère tout au long du film plutôt que de nous dévoiler ce qui rendait Lee aussi acerbe. Cela a, bien sûr, accentué le l’atmosphère dramatique du film, en nous révélant petit à petit des bouts du passé de Lee. Le réalisateur a joué sur la mise en place de flash-backs apparaissant le plus souvent de manière non amenée, brutes, sans aucune transition.  Il s’agit de nous dévoiler des bouts de la cause de la morosité de Lee, et je précise bien “bouts” car ces parcelles de souvenirs ne sont jamais assez détaillées pour que nous en percevions parfaitement le sens. Du moins, pas dès le début.

 

Manchester By The Sea est un mélodrame d’une grande intensité, comme nous n’en avions pas vu depuis longtemps. A l’aube où les drames sont à moitié assumés avec cette présence régulière du comique, Kenneth Lonergan nous invite, ici, à embrasser le genre et nous rappelle qu’il n’est pas simple à alimenter. Une belle découverte en tout cas, dont voici la bande-annonce en VO:

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