Under the skin, le désir à l’état brut

Fascinant, déroutant, troublant, hypnotique… les qualificatifs ne manquent pas pour décrire Under the Skin. Sorti en 2014, le film de Jonathan Glazer aurait pu passer inaperçu auprès du grand public sans sa tête d’affiche, Scarlett Johansson. Elle évite que le film ne soit connu que d’un public de connaisseur adepte du cinéma expérimental. Véritable expérience de cinéma à vivre absolument, le film jette aussi un regard froid et dur sur l’humanité.

Synopsis

Une extraterrestre arrive sur Terre pour séduire des hommes avant de les faire disparaître.

Critique avec quelques spoilers et pistes d’explications

under the skinSous les ordres d’un mystérieux motard – un objecteur d’inconscience pourrait-on dire – Laura, interprétée par Scarlett Johansson, va conduire dans les rues de Glasgow au volant de sa camionnette. Son objectif est de séduire des hommes seuls pour les ramener chez elle. Là, ils vont se noyer dans le sol, un liquide noir brillant. Les hommes vont être tués pour qu’il ne reste plus d’eux que leur peau. Elle accomplit sa mission plusieurs fois, toujours avec la même insensibilité – inhumanité. Tout est suggéré, jamais rien n’est donné. Rien dans l’histoire du film n’est énoncé clairement, le spectateur doit accepter de se laisser guider pas à pas, d’atteindre la fin du film pour assembler toutes les pièces d’un puzzle qui lui échappe. S’il est impossible pour le spectateur de se mettre à la place de cette chasseresse, dont le manteau en fourrure n’est pas sans rappeler sa condition de prédateur, il faut accepter de voir le monde à sa place. Ce monde est étrange pour elle ; sa condition d’alien une évidence.

Under the Skin ne s’embarrasse pas d’une histoire complexe aux mécanismes retors avec de nombreux retournements de situation. Le film, tel qu’il peut être résumé de la manière la plus simpliste qui soit, consiste en une invasion extraterrestre. Si l’histoire peut de prime abord sembler proche de films comme Invasion Los Angeles de John Carpenter ou L’invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel pour ne citer que deux des plus emblématiques, il n’en est absolument rien dans la réalité. Ici l’invasion n’apporte rien si ce n’est un contexte à une histoire en réalité très intimiste qui nous offre une belle réflexion sur l’humanité. La question de l’homme soumis à sa libido est évidemment posée, mais c’est là une piste trop simple : Il s’agit bel et bien d’un questionnement sur le désir, mais d’une manière bien plus allégorique.

under-the-skin-4L’alien n’a qu’un seul but : séduire des hommes pour les voir disparaître. Il faut leur donner envie, ne pas s’embarrasser de sentiments humains inutiles devant lesquels même Hannibal Lecter ne resterait pas de marbre (on pense notamment à la scène sur de la plage). Le thème du désir est donc bien présent, mais le réduire à une question libidineuse est un raisonnement bien trop simpliste. Laura est l’allégorie du désir, au propre comme au figuré. Et qui ne serait pas séduit ? Le problème c’est que l’homme se noie dans son ambition, dans son désir de pouvoir. Alors qu’il est censé monter (au septième ciel), il descend et de fait, il est coulé par un désir qu’il aurait dû garder sous contrôle, avalé par un sol qui rappelle l’or noir. Laura, elle, est au-dessus de tout cela. De manière biblique, elle marche sur ce liquide.

Qui mieux que Scarlett Johansson  pour jouer cette alien ? Véritable sex-symbol planétaire, elle s’accorde à merveille pour jouer cet objet de désir, tout en prouvant qu’elle est bien plus qu’une égérie hollywoodienne tant son jeu est bon et sans fautes.

Problème : un jour un homme au handicap lourd – une sorte d’éléphant man – va être relâché sans que l’on s’y attend. L’alien s’ouvrira-t-il à l’humanité ? Scarlett s’ouvrirait-elle au film intimiste ?

Cette interprétation n’est pas gage de vérité, car de vérité il n’y en a sûrement pas. Le film est ouvert à l’interprétation de manière générale, sur les parties les plus expérimentales en particulier. Lorsque les hommes s’enfoncent dans la pièce, nous ne voyons rien. Juste du noir. Pas de limites, pas de distinction entre le haut et le bas, pas de mobilier. C’est au spectateur de tout – ou presque – imaginer. Il doit accepter de faire le deuil de certains repères auxquels il est habitué.

under the skin 1Jonhatan Glazer est surtout connu pour être un réalisateur de clips musicaux et de publicités, avec très peu de film au compteur – trois en treize ans, dont Birth, tout aussi perturbant que peut l’être Under the skin. Il prouve encore une fois que le talent ne vient pas toujours avec l’expérience. Sa réalisation mêlée à l’utilisation de la musique empreint le film d’une ” inquiétante étrangeté”. L’intime surgit comme étranger, inconnu, au point d’en être effrayant. Quelque chose qui nous est familier va nous paraître étrange, bizarre, car un élément détonne avec le reste du tableau. C’est le cas tout le long du film et ce, dès les premières secondes. D’étranges lumières sur un fond noir se rapprochent, d’étranges formes s’emboitent, un liquide noir remplit l’espace. Le tout se transforme en un clin d’œil et tout ceci sur une musique angoissante, froide, stridente.

Cette mise en scène très sensorielle fait écho à la découverte des sens par l’alien, Découverte qu’accompagne d’ailleurs une humanisation de celle-ci. La musique est la pierre angulaire de ce travail sensoriel, elle accompagne tout le film en ayant un vrai rôle. Les sonorités stridentes et inquiétantes font énormément penser à Lux Aeterna dans 2001 l’odyssée de l’espace.

under the skin 2La réalisation est aussi dotée d’un fort aspect documentaire. Quand Laura conduit et aborde des hommes, les images n’ont pas un rendu fictionnel. Ceci s’explique par une raison très simple : elles ne le sont pas. A titre personnel, elles me rappellent les prises de vue du film Taxi Téhéran de Jafar Panahi. En effet, ici les passants abordés sont filmés sans qu’ils ne le sachent, en caméra cachée. Jonathan Glazer explique avoir traduit à l’écran la solitude contemporaine à travers les multiples inconnus que rencontre Scarlett Johansson pour assouvir sa soif de désirs. Il y a aussi dans ce film une vraie fascination pour les masses et les contradictions, visible à travers les plans de foules à Glasgow. Dans cette multitude, l’individualité règne. Pour montrer ceci, Glazer a encore une fois utilisé la caméra cachée – quand le personnage de Scarlett Johansson  tombe, les gens ne savaient pas que c’était filmé ni même ne  connaissaient la célébrité de la personne en question. Mais il va aussi filmer des plans qui font très expérimentaux.

Under the skin parvient à nous plonger dans son univers sans que nous n’y comprenions rien. Sorte de tableau abstrait, nous pouvons seulement dire à quel point c’est bien fait. Ce n’est qu’à la fin que les pièces s’assemblent, que nous comprenons ce qui se passe avec certitude, que nous pouvons en tirer des leçons. Allégorie du désir qui jette un regard froid sur l’humanité, le film de Jonhatan Glazer est servi par une actrice brillante et une réalisation magnifique. Ne passez pas à côté de ce film aussi troublant que fascinant.

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