Quand cinq sœurs subissent de plein fouet un patriarcat conservatif religieux et se retrouvent enfermées, privées de toute liberté sous le joug d’un oncle violeur, il ne s’agit pas de courir après son destin comme un cheval sauvage, mais d’y échapper. Aussi puissant qu’émouvant, le film de Deniz Gamze Ergüven a rencontré un grand succès critique en commençant avec la quinzaine des réalisateurs 2015, puis un rôle de favori pour l’oscar du meilleur film étranger, avant de gagner entre autres, quatre Césars dont celui du meilleur premier film. Et quel succès mérité !
Synopsis
C’est le début de l’été.
Dans un village reculé de Turquie, Lale et ses quatre sœurs rentrent de l’école en jouant avec des garçons et déclenchent un scandale aux conséquences inattendues.
La maison familiale se transforme progressivement en prison, les cours de pratiques ménagères remplacent l’école et les mariages commencent à s’arranger.
Les cinq sœurs, animées par un même désir de liberté, détournent les limites qui leur sont imposées.
Critique
Deniz Gamze Ergüven a voulu à travers son film raconter ce que signifie être une fille, une femme dans la Turquie contemporaine puisqu’il s’agit d’une société où sa place fait débat actuellement. Elle a voulu redéfinir l’identité de la femme, son rapport à la sexualité et dénoncer l’absurdité du conservatisme qui pense que tout est sexuel. Le film est un beau parallèle avec la situation de la Turquie : il commence joyeusement et “laïquement” avant de sombrer dans le patriarcat le plus dur. Il en va de même avec la situation de la Turquie, qui est l’un des premiers pays à avoir légalisé le droit de vote des femmes dans les années 30 – contre 1944 pour la France – mais qui, paradoxalement, fait machine arrière sur des choses aussi élémentaires que le droit de disposer de son propre corps. Une scène assez anodine fait sens à cette disparition progressive de la liberté au profit d’une morale moyenâgeuse : quand les sœurs se font enfermer, on leur retire tout ce qui pourrait les pervertir. Ainsi on voit une photo de “La liberté guidant le peuple” de Delacroix. Il semble que la liberté soit vicieuse pour certains…
Pour rester fort face à cette tyrannie, il faut rester uni. Et les sœurs ont très bien compris cette idée. Elles forment un tout, une entité. Le spectateur va s’identifier au groupe plutôt qu’à une seule fille. Et c’est là un problème paradoxal. On ne parvient que difficilement et avec du temps à distinguer chaque sœur. On sait qu’il y a la plus jeune – la plus sauvage – celle qui est amoureuse et trois autres. Impossible de dégager une personnalité pour chacune, de s’identifier à l’une plutôt qu’aux autres pendant une bonne moitié du film. Pour tout dire c’est à peine si je saurais les nommer. C’est à la fois une force est une faiblesse. Le groupe forme un tout, mais chaque membre a du mal à s’en détacher. Deniz Gamze Ergüven a pris du temps avant de choisir les cinq actrices. Il fallait que la fratrie soit très organique, que les filles se ressemblent, puissent se répondre, se compléter, se comprendre. Plusieurs combinaisons ont été essayées avant que ce ne soit le déclic.
Le film est porté par une musique de Warren Ellis, un violoniste australien qui parvient à apporter une puissance narrative qui s’associe très bien avec le cadre du film, très méditerranéen. La photographie vient soutenir la chaleur présente dans le film. On rentre très vite dedans, et on ne s’ennuie pas un seul instant, avec pour le spectateur, une tension qui s’installe très vite et ce jusqu’à la toute fin.
Mustang est un film fort, puissant, qui réussit à nous émouvoir sans parti pris grâce à une caméra témoin, qui montre que derrière chaque instant joyeux se cache une vérité très dure et très triste. Le film est doté d’un fort message politique, qui se veut plein d’espoir plutôt que pessimiste – si le film commence par une entrée dans un tunnel, il se termine par la sortie de celui-ci. Cinq sœurs, semblables aux cinq actrices qui les incarnent, sublimes, pleines de vie, fougueuses, voulant la liberté, c’est ça Mustang.