“À force de questions indignes, écrivent Les Cahiers du cinéma à propos d’Allende mon grand-père, le film sombre définitivement dans le nauséabond.” Aussitôt on se dit oula ça doit être le gros oeuvre dégueulasse, plein de sous-entendus immoraux à l’adresse de je ne sais quelle communauté protégée. En guise de question indigne tout de suite on imagine des trucs du genre “combien faut-il de bois d’allumage pour commencer un autodafé ?”. Eh bien non. Allende n’est rien de plus que le petit docu d’une dame un peu trop curieuse qui s’interroge sur sa famille.
Synopsis
Marcia souhaite rompre le silence entretenu autour du passé tragique de sa famille. 35 ans après le coup d’État qui a renversé son grand-père, Salvador Allende, premier président socialiste élu démocratiquement, elle estime qu’il est temps de retrouver les souvenirs familiaux, les images de leur vie quotidienne qui leur a été arrachée. Un passé intime qui lui est inconnu, enterré sous la transcendance politique d’Allende, l’exil et la douleur familiale. Après plusieurs décennies de non-dit, Marcia essaie de dresser un portrait honnête, sans grandiloquence, prenant en compte la complexité de pertes irréparables et le rôle de mémoire sur trois générations d’une famille blessée.
Critique
Il faudrait qu’on mette le terme “nauséabond” au tiroir pendant quelques mois, quelques années. C’est typiquement le genre de mot usé qu’on n’utilise plus que comme une sorte de stimulus – si quelqu’un écrit “nauséabond” on ne sait rien du film ainsi qualifié, mais on sait que l’auteur veut pas qu’on aille voir. Je lance le défi suivant à tous les écriveurs de France : quand le mot sur le bout de votre langue c’est celui dont je parle, prenez-vous cinq minutes pour préciser ce que vous voulez dire. Et si ce que vous voulez dire c’est “immoral” alors passez à la phrase suivante, on s’en tape. D’ailleurs, qu’a fait la petite-fille Allende pour mériter l’adjectif fatidique ? A un moment du film, un partisan du grand-père explique que ce dernier était “l’incarnation physique d’un projet mystique”. Le leader politique ayant choisi à la carte les racines de pissenlits, il ne reste plus que le projet mystique et les contenus mythologiques qui le soutiennent, affiches de campagne, enregistrements de discours – Marcia Tambutti Allende remarque qu’elle n’a jamais entendu de commentaire négatif sur son grand-père. Il s’agit, pour elle, d’aller rechercher l’incarnation physique derrière les cérémonies. Et quand je parle d’incarnation physique, je parle pas d’une enquête sur les failles du bonhomme (genre les biopics classiques qui prétendent avoir tout compris de leur icône – elle était géniale parce qu’elle cherchait l’approbation paternelle ou je sais pas quoi), ce qui intéresse Marcia, c’est le Allende quotidien, comment il parlait à sa femme, comment il caressait son chien. Elle veut traîner dans la banalité son grand-père éthéré. Ce qui l’amène, dans le dernier temps du film, à épuiser sa grand-mère pour qu’elle avoue que le monsieur niquait tout ce qui bougeait et que c’était insupportable. C’est là qu’est l’indignité je suppose. Mais à mon sens c’est un aboutissement logique de la démarche. Marcia plonge dans le ragot sans se mouiller la nuque parce que c’est ça qu’elle cherchait : une impureté. Cela ne l’empêchera pas finalement de proposer un happy-end où toute la famille est apaisée. Nous Allende sommes d’autant plus beaux que nous sommes des vivants.