On connaissait Darren Aronofsky pour ses plongées obsessionnelles dans la folie, la foi ou l’autodestruction (Requiem for a Dream, Black Swan, Mother!). On le découvre ici du côté du polar sanglant et ironique, adapté du roman culte de Charlie Huston. Pas de métaphores mystiques ni de symbolisme appuyé : Pris au piège est un thriller poisseux, violent et étonnamment drôle.
Synopsis
Hank Thompson a été un joueur de baseball prodige au lycée, mais désormais il ne peut plus jouer. À part ça, tout va bien. Il sort avec une fille géniale, il est barman la nuit dans un bar miteux à New York, et son équipe préférée, donnée perdante, est en train de réaliser une improbable remontée vers le titre. Quand Russ, son voisin punk lui demande de s’occuper de son chat pendant quelques jours, Hank ignore qu’il va se retrouver pris au milieu d’une bande hétéroclite de redoutables gangsters. Les voilà tous après Hank, et lui ne sait même pas pourquoi. En tentant d’échapper à leurs griffes, Hank doit mobiliser toute son énergie et rester en vie assez longtemps pour comprendre.

Pris au piège n’est pas ce à quoi on s’attendait d’un film d’Aronofsky, dont la filmographie est quand même ultra cohérente. Plus qu’un drame existentiel, c’est une comédie noire à l’énergie crasse et jubilatoire. Les situations sont pulp, les personnages improbables, mais l’ensemble fonctionne avec un malin plaisir : on rit, on serre les dents, on suit le chaos avec un plaisir coupable.
Le film s’autorise un humour féroce, presque cartoonesque. Les seconds rôles semblent sortis d’une galerie de freaks urbains : frères hassidiques transformés en philosophes de comptoir, gangsters déglingués aux punchlines délirantes, voisins qui oscillent entre menace et ridicule. On sent qu’Aronofsky s’amuse, et ce plaisir est communicatif. Là où ses précédents films étouffaient parfois sous leur gravité (au hasard Mother!), celui-ci respire la jubilation du chaos.
Ne vous y trompez pas : la violence est omniprésente, crue, parfois insoutenable. Mais contrairement à ses drames passés, Aronofsky ne cherche pas ici à imposer une morale. Les corps tombent, le sang jaillit, mais l’effet recherché est davantage cathartique que réflexif. Le spectateur rit, grimace, se crispe, mais n’est jamais enfermé dans un discours appuyé. C’est le pur plaisir du film noir : montrer un monde où tout part en vrille, sans autre horizon que la survie immédiate.
Le montage nerveux, les cadres serrés et la caméra toujours en mouvement donnent au film une énergie brute. On est projeté dans un New York des années 90 crasseux et grouillant, celui de Requiem For a Dream, recréé avec un soin maniaque. Austin Butler surprend en barman raté entraîné malgré lui dans une spirale de violence. Physiquement impliqué, il parvient à donner de l’épaisseur à un personnage qui aurait pu rester un simple archétype de loser. Autour de lui, le casting secondaire est un festival : Zoë Kravitz, Matt Smith, Liev Schreiber, Vincent D’Onofrio… Tous composent contribuent à créer une fresque urbaine où l’absurde se mêle au tragique.

Reste une question : à force de vouloir surprendre, Aronofsky n’a-t-il pas un peu trop simplifié son cinéma ? Si l’humour et la violence fonctionnent à plein régime, on peut regretter l’absence de cette profondeur thématique qui faisait la singularité de ses meilleurs films. Pris au piège est jouissif, mais parfois trop lisse dans son cynisme. On prend, en attendant que le réalisateur se décide à retourner à son terrain de prédilection, quitte à nous donner des sueurs métaphysiques.