Un beau travail de réalisation
Cet épisode de l’enfant n’est qu’un parmi d’autres, qui questionne la maternité et la filiation au cours du film. La relation mère-fils est travaillée une seconde fois.
En effet, les danseurs drogués et fous de rage tentent de déterminer qui les a drogué. Après avoir jeté dans le froid l’un d’entre eux (Adrien Sissoko alias Omar) car il était le seul à ne pas avoir bu, ils se rendent compte qu’une autre personne n’a pas bu : Lou (Souheila Yacoub). Elle ne se sentait pas bien depuis le début de la soirée. Elle s’était isolée dans sa chambre quand Selva (Sofia Boutella) vient la retrouver. Elle lui confie alors qu’elle est enceinte. Selva a du mal à comprendre la nouvelle tant elle est perchée et choquée par tout ce qu’elle a vu (elle vient de croiser une danseuse dont les cheveux ont pris feu). Une autre femme (Mounia Nassangar alias Mounia) entre alors dans la chambre et commence à s’en prendre à Lou. Alors que cette dernière est au sol en train de se faire frapper, Selva, pour la protéger, dit à Mounia que Lou est enceinte. L’effet est contre-productif : Mounia donne un coup de genou dans le ventre de Lou, puis un coup de pied quand elle est au sol. Elle quitte ensuite la chambre et va dans la salle commune pour dire à tous que Lou est enceinte. Les danseurs réalisent alors qu’elle n’a pas bu. Un couteau à la main, Lou tente de se défendre d’eux pendant qu’ils lui hurlent de se suicider. Ne tenant plus, elle s’entaille le bras et le visage.
Une nouvelle fois, la caméra s’en va et laisse Lou avec le bras et la joue ensanglantés, mais ne résout pas l’action. La colère du groupe n’est pas redescendue et Lou est toujours en vie, mais la caméra ne s’attarde pas sur la situation. Elle ne veut pas choquer outre mesure et aller trop loin.
La mise en scène des pérégrinations de Selva et de celles des autres personnages se fait sous la forme de longs plans séquences. Les coupures sont toujours brutales et inattendues en raison de leur rareté. L’intérêt de ce type de mise en scène, dans des plans-séquences à hauteur de personnage, est que le spectateur est impliqué dans l’image. Les mouvements anarchiques et circulaires de la caméra qui monte, descend, tourne de droite à gauche et s’incline, poussent l’identification avec les personnages en raison d’une communauté de perception. Le spectateur est l’un des membres de cette petite fête qui penche de plus en plus vers l’orgie et la réunion macabre. Selva semble comme possédée quand elle se met à courir et à danser en criant, se frottant contre le mur et répétant des mouvements dans toutes les directions. Cette danse est comme un rituel de conjuration du mal, une tentative de se libérer des serres de la drogue, mais rien ni fait. Ni la caméra, ni le personnage ne se stabilise. Tout penche et tangue. La géographie du lieu est à la fois confuse et claire, la localisation des personnages de même. Il n’y a pas de centre d’intérêt ou d’action prioritaire, juste la déambulation, mi-effrayée mi-fascinée, des corps en mouvement. Il est impossible de prioriser, de se placer au-dessus, et d’avoir une vue d’ensemble. Le spectateur est pris, coincé à la même hauteur que les personnages.
Frère et sœur
Le troisième moment de violence sur la filiation est l’étude que Noé fait des relations entre frères et sœurs. En effet, dès leur interview, Taylor (Taylor Kastle) et Alaya (Alaïa Al-Safir) sont présentés comme frère et sœur. Taylor est très envahissant et dirigiste dans la vie de sa sœur. Il ne veut pas qu’elle traîne avec Omar et veut la garder près de lui. Progressivement, la drogue faisant son chemin et Alaya buvant de plus en plus de sangria, elle se laisse charmer par le dragueur du groupe David (Romain Guillermic) qui finira avec des éclats de verre dans le crâne après avoir été passé à tabac par quatre autres danseurs, dont Taylor. Une fois David à terre, Taylor prend sa sœur, qui tient à peine debout, à part. Il commence à la caresser, et à être de plus en plus entreprenant. Trop défoncée pour réagir ou pour le repousser, elle se laisse faire.
Un autre exemple de retenu et de maturité de Gaspar Noé est que là où, dans ses précédents films, il aurait filmé un viol incestueux de manière frontale, ici rien ne dépasse le stade des caresses et ces caresses ne sont pas au centre de l’écran. Elles apparaissent en périphéries lors d’une divagation de la caméra. Le frère se reprend juste à temps et quand ils se réveillent dans le même lit le lendemain, il lui assure qu’il ne s’est rien passé et qu’il ne faut pas qu’elle en parle à leur père. Elle a visiblement tout oublié. Une autre voie que celle de la violence semble être possible, ainsi qu’une sorte de morale plus forte que la drogue, un possible frein au désir. Personne ne meurt, personne n’est violé dans Climax. La fin est moins brutale et intransigeante que ses autres projets.
Final : qui sont les victimes ?
Le dernier temps de Climax, le tend du réveil et d’une possible élucidation finale vient quand les policiers enfoncent la porte du studio et trouvent ce qui apparaît au prime abord comme une série de cadavres, mais qui sont seulement les danseurs, pour la plus part endormis. Pas un n’est mort semble-t-il. Un rapprochement se fait avec différents moments de l’ouverture du film, tout d’abord, Lou, que la caméra avait quittée pendant qu’elle s’entaillait sous la pression de ses pairs, apparaît comme étant la jeune femme marchant dans la neige. Le blanc éblouissant du premier plan est ici incarné par la porte de sortie de la salle. Elle sort dans la neige et commence à marcher. Une plongée verticale montre rapidement Omar en position fœtale, recouvert par la neige. Le rejet aura peut-être fait une victime innocente.
Le blanc de l’origine est aussi celui de la clôture de Climax. En parallèle avec ce qu’elle avait dit lors de son interview, la danseuse allemande, Psyche (Thea Carla Schott) est seule dans sa chambre et se verse à la pipette une solution dans les yeux (sans doute de l’acide). Elle est la seule à tenir encore debout et à avoir supporté toute la soirée. Sans que cela ne soit jamais clairement signifié, le spectateur est invité à comprendre que c’est elle qui a drogué la sangria. Un fondu au blanc, très progressif, sur son œil qui cligne dans un silence absolu, vient clôturer le film.
Peu de victimes donc dans ce film de Gaspar Noé, peu de victimes car tous le sont. La drogue n’a fait qu’accentuer les rancœurs déjà existantes et déjà exposées dans la première phase du film. Elle n’a fait que rendre leur animalité, voire leur bestialité aux hommes et aux femmes. Dès lors, le film pourrait se poser comme une question : « La drogue justifie-t-elle tout ce qui vient de se passer ? » et une question au spectateur : « Serais-je allé aussi loin ? » Le spectateur de Gaspar Noé est directement convoqué par ce final. L’impression de réalité qui s’est dégagée des plans-séquences avec leur point de vue fluctuant, l’organicité de la photographie et des cadres, ont emprisonné le spectateur dans l’image. Il ne peut tourner la tête et aucune porte de sortie ne lui est présentée avant cette respiration finale et cette question.
PS : Noé n’est pas le genre à faire des références, pourtant au moins un film ressort. En effet, on ne peut pas ne pas voir une référence à Inglorious Bastard (2009) de Tarantino quand les quatre danseurs noirs se jettent sur le seul danseur blanc et lui gravent une croix gammée sur le front. Le parallèle avec Django Unchained (2012) est vite fait également. Cette scène apparaît comme un mélange de ces deux films.
« La caméra ne s’attarde pas sur la situation. Elle ne veut pas choquer outre mesure et aller trop loin. » « Ici rien ne dépasse le stade des caresses et ces caresses ne sont pas au centre de l’écran » « Personne ne meurt, personne n’est violé dans Climax. » On a pas du voir le même film, la camera s’attarde sur le corps de l’enfant inanimé dans le local électrique, à l’extérieur sa mère baigne dans une mare de sang, les poignets tranchés, les vigiles constatent son décès. Le viol incestueux est clairement montré au début de la scène lorsqu’ils sont seuls et que David les surprend. Climax a de nombreuses qualités mais il est aussi un patchwork un peu creux et vain des lubies de Noé et condense tous les chocs de sa filmographie en un seul film compact, resserré, je ne vois absolument pas où vous avez vu plus de pudeur et de retenue que dans ses précédents films
Travail d’analyse intéressant mais je rejoins Jasongarcia583, le film n’est pas spécialement plus pudique ou suggestif que les précédents de Noé. Il répète d’ailleurs ouvertement certaines scènes déjà vu dans son œuvre (le tabassage d’une femme enceinte et le viol incestueux, comme dans « Seul contre tous »). J’ai trouvé dommage qu’il finisse par nous montrer le cadavre de l’enfant électrocuté… Ce choix est symptomatique d’un défaut récurrent de son cinéma : il ne fait pas confiance à son spectateur, il a constamment besoin d’en rajouter dans l’horreur et/ou la vulgarité, comme s’il avait le sentiment de ne jamais en faire assez. Et puis il y a finalement beaucoup de morts dans « Climax » : Omar, l’enfant, Emmanuelle, peut-être même David (n’a-t-il pas le crâne fracassé contre le sol juste avant la coupure ?) et Lou (en petite tenue dans la neige, elle risque bien de rejoindre Omar). Il y en a même finalement plus que dans n’importe quel autre film de Noé ! Mais là n’est pas le problème, puisque la volonté de tutoyer le genre et l’horreur est ici clairement affichée et assumée.
Pour ce qui est des références, elles sont largement présentes et même carrément visibles autour du téléviseur dans la deuxième séquence : « Possession » (la danse hystérique de Sofia Boutella est un hommage à la transe d’Isabelle Adjani dans le film de Zulawski), « Eraserhead » (également un long trip cauchemardesque qui se clôt sur un écran d’un blanc immaculé), « Salo », « Querelle », etc.
P. S. : Je précise que David ne se fait pas vraiment « graver » une croix gammée sur le front, Taylor lui dessine simplement avec le rouge à lèvres qu’il a volé à sa sœur. Cela m’a fait penser au « Made in Britain » d’Alan Clark, la tenue de David évoquant celle d’un skinhead (à l’idéologie ambigüe). Les autres ont l’air de voir en lui un nazi puisque Taylor menace même carrément de le « circoncire ».
Je ne sais pas ce qui vient de se passer, je crois que mon commentaire est parti tout seul. Je tiens donc à dire que pour moi Gaspar Noé atteint ici une forme de maturité et qu’il fait peut-être plus que jamais confiance à son spectateur ici. Et Philippe Nahon dans Seul Contre Tous, ne viole pas sa fille, le montage ne permet pas de dire avec certitude ce qui s’est passé. Dans Climax on voit le frère s’agiter sur la soeur, mais le viol n’est pas représenté de manière frontale, il est impossible de savoir si le viol est réel. Quand Gaspar Noé veut montrer un viol, en témoigne Irréversible, il sait comment faire.
Je ne sais pas si le reste du commentaire et parti, sinon dites le moi et je recommencerai.
Merci encore d’avoir pris le temps de me lire et de commenter.
Hello, pour compléter votre référence en PS aux films de Tarantino il me semble évident qu il y a un parallèle avec la construction de » From dusk till down » . Le film bascule sous l effet de la sangria comme les personnages de Tarantino deviennent des vampires dans FDTD.
* Alaïa Alsafir n’est pas la sœur de Taylor, c’est Giselle Palmer qui joue le rôle de « Gazelle ».
« Personne ne meurt, personne n’est violé dans Climax. »
Personne ne meurt ? On a pas vu le même film… Le gars qui ne bois pas qui finit congelé, l’enfant qui meurt électrocuté, sa mère qui s’ouvre les veines et possiblement le bébé de la meuf enceinte… mais personne ne meurt…
« » »Le fait que cette porte reste CLAUSE !!??? « » »