(Universal, un studio de légendes – Fondation Jérôme Seydoux-Pathé du 09 au 29 janvier)
Carl Laemmle quitte l’école à 13 ans pour gagner sa vie comme boutiquier et comptable. En route pour l’Amérique, il fait le commerce des fourrures au Nebraska avant de s’intéresser – tardivement – à l’industrie cinématographique. S’il se souvient, au cent près, du prix de son billet de bateau, il a oublié son premier film vu dans un nickelodeon, uniquement pour assimiler ce nouveau business. C’est que, pour Laemmle, le cinématographe n’est pas une passion, encore moins un art naissant évidemment, mais une opportunité de faire fortune, à condition toutefois de posséder les capitaux nécessaires. Devenu « Mr Universal » à partir de 1912, Laemmle se lance dans la distribution et l’aide financière à la production indépendante. Ses partenaires, une douzaine environ, rejoignent un homme d’affaires qui se voit d’abord comme trésorier, s’entoure d’un directeur général (Henry McRae) autorisant les scénarios et différents « producteurs » qui passent rapidement à la réalisation et se coulent dans le moule de la nouvelle compagnie.
Les difficultés juridiques rencontrées avec Thomas Edison sur la côte Est obligent à un départ vers la Californie où des studios en plein air sont construits pour rivaliser avec ceux du 101-Bison, l’unité de production de Thomas Ince. Laemmle, qui cherche la rentabilité immédiate et favorise sa famille à l’embauche, a du mal à suivre l’évolution des modes populaires et des pratiques de masses. C’est ainsi que, effrayé par le passage – ruineux pour la compagnie – de la famille Pickford, il va essayer d’enrayer la tendance au star system en favorisant une « écurie » d’acteurs maison. King Baggott est la première vedette, supplantée plus tard par J. Warren Kerrigan. Grace Cunard et Francis Ford (frère de Jack/John) est le couple incontournable. La vogue du western voit le succès de Harry Carey, puis celui de Hoot Gibson. A la fin des années dix, émergent Priscilla Dean, Elmo Lincoln ou Eddie Polo. A l’aube du parlant, des acteurs comme Laura La Plante ou Reginald Denny tiennent le haut de l’affiche. Mais ce choix est paradoxal : ou bien les acteurs n’ont qu’une renommée médiocre et sont incapables de rivaliser avec les grandes vedettes des majors, ou bien ils obtiennent la consécration et cherchent ailleurs de meilleurs cachets.
D’autre part, Laemmle reste convaincu qu’une séance est composée d’un programme de courts métrages variés et qu’aucune bande ne devrait faire plus de trois bobines. Malgré le succès de Traffic in Souls (1913) avec ses cinq bobines, Uncle Carl, pendant longtemps, ne veut pas entendre parler des feature pictures, trop coûteux et au succès aléatoire, alors que les petits westerns et les petites comédie de deux bobines enclenchent automatiquement des bénéfices minima. Même réticence face au serial mais qui sera vaincue par la demande du public. Laemmle lance la Bluebird, une unité de production dédiée à des films de « prestige » où l’on met en avant les noms des poètes et des romanciers adaptés (H. Rider Haggard, Jules Verne) et même ceux des réalisateurs. Les acteurs viennent de préférence de la scène, de Broadway. A cette condition, la durée des films peut s’allonger. Malheureusement, même si le succès est au rendez-vous – c’est le cas avec 20 000 Leagues Under the Sea (1916) – il n’est pas suffisant pour rentabiliser le coût très élevé des vues sous-marines.
A partir de 1920, la Universal de Laemmle père et fils amorce un déclin qui n’est pas sensible au spectateur lorsqu’il considère seulement les quelques titres prestigieux dont certains sont présentés à la fondation Jérôme Seydoux-Pathé en janvier. Mais les noms de Paul Leni, Tod Browning (soutenu par Irving Thalberg le futur dirigeant de la MGM alors qu’il était secrétaire de Laemmle de 1919 à 1923) ou Erich von Stroheim ne doivent pas faire illusion. Leurs films, indépendamment de leurs qualités, font figures d’exception et ne sont guère représentatifs du type de production standard. Sauf Straight Shooting (1917), un des premiers films de John Ford (Jack Ford) qui, avant de passer à la Fox, réunit ici Harry Carey et Hoot Gibson. Mais Laemmle considère encore les films qu’il fabrique comme des bobines qu’on loue ou vend à des salles rurales ou de petite villes. Alors qu’il fallait obtenir le contrôle des salles de première exclusivité dans les grandes villes, la Universal perdra toutes les siennes au début du parlant, se contentant d’inonder l’Amérique profonde de westerns et de comédies musicales…avant de connaître un rebond avec le fantastique. Pourtant, cette faiblesse de la compagnie liée à la période Laemmle (qui se retire en 1936) est aussi un atout et fait le charme spécifique de certaines bandes qui apparaissent justement moins sophistiquées ou moins frelatées que les produits concurrents ; cette remarque étant surtout valable pour les années trente et quarante.
En 1915, au moment de la naissance d’Universal City qui rattrape son retard sur Inceville, Laemmle a l’idée d’inaugurer ses studios en les ouvrant au tourisme. C’est ainsi que des cars en provenance de Los Angeles Down Town déversent des centaines de visiteurs venus admirer le terrain construit, les décors et équipements, les techniciens et les acteurs. Mais ces derniers, figurants improvisés, sont payés par la compagnie pour faire semblant de travailler. Est-ce toujours le cas de nos jours ?