Une consécration pour Trois souvenirs de ma jeunesse ?
On ne peut qu’espérer que la rêverie romanesque, ample, ambitieuse et lyrique d’Arnaud Desplechin, onze fois nominée, triomphe ce vendredi 26 février au Théâtre du Châtelet (voir notre critique ici). Ce ne serait que justice et représenterait une consécration retardée pour un réalisateur moult fois nommé mais jamais récompensé et dont le cinéma a déjà valu des Césars (à Mathieu Amalric ou Jean-Paul Roussillon) et des nominations (à Emmanuelle Devos ou Anne Consigny) à plusieurs de ses acteurs et actrices. En lice pour le César du meilleur film et du meilleur réalisateur, Trois souvenirs de ma jeunesse pourrait également rafler ceux du meilleur scénario pour Arnaud Desplechin et Julie Peyr, du meilleur montage pour Laurence Briot, de la meilleure photo pour Irina Lubtschansky et de la meilleure musique pour Grégoire Hetzel ainsi que le César du meilleur espoir féminin pour Lou-Roy Lecollinet.
Plusieurs récompenses pour Marguerite
Onze fois nommé également, Marguerite, film d’époque et donc à costumes, pourrait légitimement repartir avec les César des meilleurs costumes pour Pierre-Jean Larroque et des meilleurs décors pour Martin Kurel, ainsi que probablement le César du meilleur son pour François Musy et Gabriel Hafner, pour cette histoire sur une femme qui chante faux. Dans le rôle-titre Catherine Frot fait des étincelles et devrait sans doute voler la vedette aux confirmées Catherine Deneuve, Cécile de France et Isabelle Huppert ainsi qu’aux nouvelles venues Loubna Abidar, Emmanuelle Bercot et Soria Zeroual. Michel Fau, nommé au César du meilleur acteur dans un second rôle ainsi qu’André Marcon, devrait l’emporter devant Benoît Magimel, Louis Garrel et Vincent Rottiers, tant il se révèle exquis en professeur de chant extravagant, homosexuel et extrêmement hypocrite (comme d’ailleurs tout l’entourage de Marguerite qui refuse de lui dire la vérité et la laisse croire qu’elle est une grande chanteuse).
Un duel Luchini-Lindon
Dans la catégorie du meilleur acteur, il y a beaucoup de beau monde cette année et le suspense demeure quasi entier jusqu’au bout. A côté de Gérard Depardieu, auréolé d’un César à deux reprises et déjà de multiples fois nommé, qui n’a donc plus à prouver quoi que ce soit, et de François Damiens, bouleversant dans le contre-emploi d’un père qui cherche désespérément sa fille aux mains d’un islamiste dans Les Cowboys de Thomas Bidegain (voir notre analyse ici), ainsi que Jean-Pierre Bacri, au sommet de son art dans La vie très privée de Mr. Sim, le vrai duel oppose à notre avis Vincent Lindon et Fabrice Luchini, respectivement lauréats du Prix d’interprétation à Cannes et à Venise. Si le premier confirme son appétence pour les rôles d’hommes mûrs ancrés dans la réalité, et se révèle touchant, poignant et d’une incroyable authenticité, le second met un instant de côté sa verve et ses vers de La Fontaine, qu’il assène usuellement lors de ses nombreux shows télévisés et interviews, pour interpréter avec une sobriété infinie ce juré de la Cour d’assises qui revoit par hasard une femme, une infirmière danoise, pour qui il a eu un coup de foudre. Il a notre préférence. Dans le rôle du coup de foudre, Sidse Babett Knudsen s’avère d’une grâce folle et pourrait bien repartir avec le César de la meilleure actrice dans un second rôle – à moins que les votants ne craquent pour les cochonneries assénées à une Isabelle Carré médusée par Karin Viard dans 21 nuits avec Pattie.
Des César symboliques
Plusieurs Césars pourraient également être décernés pour des raisons symboliques. Ainsi le César du meilleur premier film ne devrait par exemple pas échapper à Mustang, cette co-production franco-germano-turque réalisée par une femme, à savoir Deniz Gamze Ergüven – et même si Les Cowboys de Thomas Bidegain constitue également un concurrent sérieux. Il devrait se consoler avec le César du meilleur espoir masculin qui pourrait très sûrement être attribué à Finnegan Oldfield. Quant au César du meilleur film étranger, il devrait revenir à “Taxi Téhéran” de Jafar Panahi qui, davantage qu’un film, est avant tout un geste d’une grande force : celui de réaliser en Iran malgré une interdiction, le plus discrètement possible, à savoir dans un taxi. Le taxi devient une sorte d’écho du monde alentour, un réceptacle et les clients sont pour le réalisateur reconverti en chauffeur de taxi les seuls liens au monde auquel il n’a pas directement accès. Il est fort probable que les votants récompensent sa force symbolique et le préfèrent aux “Birdman” et autres “Nouveau Testament” également nominés.
Les oubliés des César 2016
Si trente-six longs-métrages français sont nommés cette année, force est cependant de constater que certains films ont été assez honteusement oubliés. C’est le cas du pourtant formidable et romanesque Belles Familles de Jean-Paul Rappeneau, une comédie de famille altière et élégante menée par un rythme virevoltant, des dialogues fins et un casting de haute volée. Il est révoltant de voir que le film n’a pas la moindre nomination, alors même qu’il aurait pu constituer un concurrent plus que sérieux dans plusieurs catégories : celle du film et du réalisateur pour un Monsieur déjà octogénaire qui n’a pourtant en rien perdu la main, mais aussi celle du scénario pour un script co-écrit à quatre, celle de la photo pour Thierry Arbogast, celle du montage pour Véronique Lange ainsi que celle de la musique pour Martin Rappeneau. Plusieurs acteurs du film auraient pu enfin être nommés, dans les seconds rôles le délicieux André Dussollier et l’impeccable Gilles Lellouche, en actrice la mystérieuse et sensuelle Marine Vacth. On regrette également l’absence d’un film certes anti-César au possible, à savoir le magnifique mais modeste Nuits blanches sur la jetée du franc-tireur et vétéran octogénaire Paul Vecchiali ; ainsi que celle de La Rançon de la gloire, la formidable tragi-comédie sur deux losers qui prennent en otage le cercueil de Charlie Chaplin par Xavier Beauvois avec Benoît Poelvoorde et Roschdy Zem.
Enfin, parmi les films français notables de 2015, il y avait aussi la fabuleuse comédie de Rudi Rosenberg, Le Nouveau, très rafraîchissante et juste, qui a révélé un certain nombre de jeunes talents – Rephael Ghrenassia, Joshua Raccah et Johanna Lindstedt notamment – et offre un très beau second rôle à l’humoriste Max Boublil. Deux excellents premiers films ont enfin été oubliés, à savoir le film sanguin et fougueux d’un homme de théâtre, Les Rois du Monde de Laurent Laffargue, une histoire d’amour passionnel et de jalousie avec un excellent casting – Sergi Lopez, Eric Cantona et surtout la divine Céline Sallette, dont on comprend mal l’absence aux César – ainsi que La Vie en Grand du chef opérateur Mathieu Vadepied, un premier film rafraîchissant qui ose le mélange détonant de Du Bellay et de deal de shit. On peine à comprendre enfin pourquoi le formidable film d’Elie Wajeman “Les Anarchistes” n’a été nommé qu’une pauvre fois au César du meilleur espoir masculin pour Swann Arlaud, tant le film s’avère brillamment monté, photographié – par David Chizallet -, écrit – par Elie Wajeman et Gaëlle Macé -, et réalisé.