Cinq ans après La Vie d’Adèle, le réalisateur Abdellatif Kechiche revient avec Mektoub, My Love : Canto Uno, le premier opus somme toute décevant, de ce qui s’annonce être une duologie ou une trilogie suivant le personnage et le « Mektoub » (destin) d’Amin, un jeune parisien en vacances à Sète.
Synopsis
1994. Amin, un parisien et apprenti scénariste, vient passer ses vacances à Sète, dans le sud de la France. Il retrouve son amie Ophélie, son cousin Tony, le restaurant familial de spécialités tunisiennes, et profite du beau temps pour flâner à la plage, et faire de nouvelles rencontres. Timide, il n’ose pas aborder les filles, et prend des photos des environs. Autour de lui, les corps se mêlent et se démêlent au cœur de cette danse effrénée, et dans la fièvre de l’été.
Critique
La fièvre du samedi soir
Qu’on adhère au film ou non, ce premier chant (Canto Uno en italien) consacré à l’été d’un jeune parisien dans le sud de la France, reste une proposition inédite dans le paysage cinématographique français. Les scènes s’enchainent, les minutes s’accumulent, et malgré l’absence d’évènements majeurs, la caméra avide attire le spectateur dans ses filets et ne le lâche plus. Cette indéniable capacité à filmer les corps, cette sensualité débordante sont l’empreinte même du cinéma d’Abdellatif Kechiche. En focale longue et en très gros plans, un quatuor de femmes : Ophélie (Ophélie Bau), Céline (Lou Luttiau), Charlotte (Alexia Chardard) et Camélia (Hafsia Herzi) dévoilent leurs plus beaux atours. Cet appétit des corps exerce sur le spectateur, presque malgré lui, une sorte d’hypnose et de fascination visuelle. Nous contemplons ces sirènes de l’été, tout comme nous nous retournerions sur de belles filles dans la rue. Ce thème, récurrent et central, de l’anatomie chez Kechiche, est sûrement le point fort de son cinéma, et c’est peut-être à travers les corps qui s’entrechoquent que le cinéaste cherche sa « vérité », plus encore que dans les dialogues.
Un scénario aux abonnés absents
Que se passe-t-il dans Mektoub, My Love ? Malheureusement, pas grand-chose. Là où La Vie d’Adèle suivait une histoire d’amour, une tranche de vie de son début à sa funeste fin, ici, il n’en est rien. Plage, bar, boite, ainsi est le quotidien de nos jeunes vacanciers. Mais il n’y a aucun conflit. Ophélie dit de sa tante qu’elle est gravement malade, mais on ne la voit jamais. Elle est censée se marier à un homme, que nous ne voyons pas non plus : le plus dommageable au sein de ce scénario maigrichon étant sans doute le personnage principal, interprété par le néophyte Shaïn Boumedine, dont l’absence d’incarnation se voit comme le nez au milieu de la figure. Nous nous demanderions presque si ce personnage fonction ne serait autre qu’une représentation maladive et curieuse du cinéaste lui-même, se contentant d’observer les corps alentours, ces corps qui l’obsèdent, sans jamais faire quoi que ce soit pour assouvir ses désirs, de la même manière qu’il observe secrètement Ophélie et Tony faire l’amour dans les cinq premières minutes du film.
De même, lorsqu’une sous-intrigue semble se former, une progression pour le personnage principal, cela n’est jamais abouti : nous pouvons citer, par exemple, la dernière demie heure, lorsque Amin est censé faire des photos dénudées d’Ophélie. En résulte un sentiment de profonde perplexité, d’incompréhension face à un visionnage qui ne contient aucun conflit majeur, le pire étant sans doute l’ambition démesurée du cinéaste de vouloir lier Amin au « Mektoub », c’est-à-dire au destin : mais comment avoir la sensation d’assister à la destinée de quelqu’un, lorsque celle-ci ne comporte absolument aucun évènement important, voire aucun évènement tout court ?
Un sujet dépassé et ringard
Force est de constater que Mektoub, My Love : Canto Uno se révèle être une entreprise un peu vaine, donnant au spectateur une sensation de vieille carte postale de vacancier des années 90, avec un Abdellatif Kechiche qui semble regretter que les rapports hommes/femmes ne soient pas comme avant. Ici, les femmes sont des accompagnatrices, séduites par des phrases telles que : « Si la beauté était un crime, tu aurais pris perpète ». A l’ère 2018, chavirer sous la rusticité de ce genre de discours parait impossible, et dès lors, le film semble assez ringard.
Par ailleurs, bien que les corps soient beaux, on ne peut que déplorer cette sorte d’objectification, car les femmes, souvent appelées les « petites », sont rarement représentées par autre chose que leur anatomie, certes très agréable, mais tout de même problématique. Les scènes de repas, chères au cinéaste dans sa recherche d’un cinéma vérité, se transformeraient presque ici en un running gag quand l’on voit arriver les fameuses « spaghettis bolognaises » de La Vie d’Adèle (nous avions d’ailleurs critique la BD originale, Le Bleu est une couleur chaude), rendant certaines scènes caricaturales, comme si le cinéaste parodiait son propre cinéma. Nous retrouvons, néanmoins, le paysage habituel de Sète, qu’il filmait déjà dans La Graine et Le Mulet, et le Couscous (bien qu’il ne soit jamais filmé), à travers le restaurant familial et le travail de Tony.
Conclusion
Que penser alors de ce premier volet ? Difficile à dire, mais cet objet fascinant, aussi vain et futile qu’ensorcelant, ne manquera pas de conquérir les cœurs des adeptes du cinéaste, et pour certains, de les faire replonger dans une douce rêverie de leurs souvenirs d’étés.
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