Critique As Boas Maneiras – Les Bonnes Manières

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Clara, une nounou noire sans recommandation, est embauchée par Ana la blonde qui occupe un appartement de grand standing au centre de Sao Paulo. Ana, qui attend un enfant hors mariage, est lâchée par tous ses amis. Elle noue une relation intime avec son employée mais bientôt des faits étranges se produisent.

Une première partie intrigante…

Ce film assez  long (135 min) a la particularité de raconter une histoire de façon très linéaire et qui ne nécessite aucun décryptage particulier malgré son caractère fantastique mais aussi de ne faire vraiment démarrer cette histoire « classique » qu’au bout d’une heure environ. Du coup, pendant un peu moins de la moitié du film, le spectateur ignore vers où on l’entraîne, ce qui est intrigant et maintient une certaine tension. Cette impression d’indécision est accentuée par le traitement particulier du cadre et de l’image qui renforce l’ atmosphère froide et artificielle d’un décor urbain ultramoderne et sans âme. L’appartement d’Ana, pourtant très huppé, est de ceux qu’on ne voudrait pas habiter, à moins d’en refaire toute la décoration.

La direction d’actrices consiste non pas à produire un jeu décalé qui créerait une situation fausse mais à accentuer l’écart entre la banalité des faits et leur représentation sociale. Ana devrait être une fille à papa un peu méprisante avec la classe laborieuse des quartiers pauvres et Clara une employée de maison timide trouvant difficilement du travail. Si les deux femmes sont aussi cela, c’est parce qu’elles respectent entre elles les conventions ou les bonnes manières (titre du film). Et tant qu’elles s’en tiennent à ces codes, elles collent plus ou moins à leur personnages. Mais il est évident, dès la scène d’ouverture de l’entretien d’embauche, qu’elles débordent leur rôles respectifs,  répètent des phrases convenues sans y croire. La réalité, celle de leur histoire, est ailleurs.

Au bout d’un moment, il ne fait plus de doute que Clara est attirée par les femmes. Elle fréquente d’ailleurs un bar spécialisé mais ne fait qu’effleurer sa patronne par des massages discrets. Suite à un rêve étrange d’Ana où elle donne un baiser profond et sanglant à son employée devant le réfrigérateur ouvert, nous croyons nous diriger vers le film lesbien, un brin SM. La jolie bourgeoise évaporée séduite par l’Africaine rebelle, voilà qui épice une représentation des rapports de classes : film progressiste politiquement correct et film LGBT avec scènes de sexe , il a de quoi satisfaire tout le monde, nous sommes rassurés. Pas pour longtemps. Bien sûr, la relation intime entre les deux femmes donne une nouvelle tournure au récit mais il y a autre chose.

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Tout d’abord, les conventions sociales, les bonnes manières ne sont pas remises en cause par la naissance du couple. Ana reste la patronne qui paie son employée, sorte de bonne à tout faire (ménage, cuisine, peinture, amour), tandis que la future maman écoute de la musique et regarde son écran plat. En fin de compte et malgré les préjugés familiaux que l’on devine persistants (silence des frères, colère du père) l’amour sincère ne semble pas bousculer les règles. Le spectateur ne sait toujours pas quoi penser de cet objet filmique bizarre. Et puis l’insouciante Ana commence à avoir des crises de somnambulisme. Clara suit son amante une nuit jusque dans les rues où cette dernière  finit par… croquer à belles dents dans un chat qu’elle vient d’étrangler. Alors là, rien ne va plus.

… pour une seconde partie décevante

Un mythe très familier des amateurs de fantastique va occuper toute la seconde partie. Impossible de préciser sans éviter le spoiler. Mais on entre alors en terrain balisé et la psychologie des profondeurs fait place à une imagerie de cinéma de genre que les auteurs voudraient renouveler par un traitement à la fois hyperréaliste et poétique. Malheureusement, tout le mystère contenu en germe dans la première partie a disparu. Le formalisme qui intriguait en raison de la suspension des enjeux narratifs devient rapidement agaçant. La beauté glacée et lisse des images vire au procédé, les questions ont trouvé trop vite leurs réponses. Quant aux effets spéciaux, ils évoquent d’abord Eraserhead (1977) avant de sombrer dans un naturalisme plat par une lumière trop vive.

L’aspect solaire du film qui ne cache rien des contours et des formes était pourtant un enjeu réel pour un thème traditionnel qui affectionne habituellement les ambiances nocturnes et gothiques. Et les séquences de la « petite chambre » comme celles du centre commercial sont méritantes. Le nom même du centre, « Bosque Cristal », dit clairement la volonté de transposer dans un décor artificiel une scène liée à la nature sauvage. Mais tous ces déplacements forcés des mythes et des affects ne parviennent pas à convaincre. C’est dommage car on devine derrière ce projet beaucoup d’ambition artistique et une prise de risque. Mais on peut se demander quel public sera au rendez-vous. Peut-être tous les publics potentiels puisqu’il s’agit à la fois d’un film d’auteur(s) et d’un film de genre(s).

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