On n’arrête pas Yórgos Lánthimos ! Après Pauvres Créatures en 2023 et Kinds of Kindness en 2024, le réalisateur grec revient cette année encore avec son nouveau film, Bugonia. Vous le connaissez, ses films sont souvent très riches en messages et en symbolismes, alors plongeons nous dans ce film pour déchiffrer un peu tout ça.
Et comme toujours, attention spoilers !
Synopsis
Deux jeunes hommes obsédés par les théories du complot kidnappent la PDG d’une grande entreprise, convaincus qu’elle est une extraterrestre déterminée à détruire la planète Terre.
Remake du film sud-coréen «Save the Green Planet !» de Jang Joon-Hwan sorti en 2003, on peut dire que l’histoire plutôt barrée correspond bien au style de Yórgos Lánthimos. On suit donc en parallèle deux personnages : Michelle (Emma Stone), PDG d’une entreprise pharmaceutique. Elle est montrée comme intelligente, froide et se sentant au dessus des gens de par son statut de patronne. Elle a également une certaine déconnexion avec la réalité, ce qui est montré par les dialogues qu’elle entretient avec ses employés : elle leur explique que passé 17h30 ils sont libres de rentrer chez eux car leur journée est terminée, mais qu’ils doivent avoir fini leur travail, mais que c’est eux qui choisissent, bref un discours dur à suivre et qui se contredit tout seul.
De l’autre côté, nous suivons Teddy (Jesse Plemmons), un employé au plus bas de l’échelle dans l’entreprise de Michelle vivant reclus et loin de tout avec son cousin. Apiculteur à ses heures perdues, un phénomène fait néanmoins fuir les abeilles ce qui lui met la puce à l’oreille. Suite à de nombreuses expériences et recherches sur internet, il est convaincu que des extraterrestres sont sur Terre et veulent la détruire, et que sa patronne Michelle est l’un d’eux…
Teddy et son cousin Don (Aidan Delbis) montent alors un plan pour enlever et séquestrer la cheffe d’entreprise pour découvrir la vérité. Après s’être castrés chimiquement pour ne ressentir aucun désir pour elle, ils mettent leur plan à exécution et kidnappent Michelle. Ils lui rasent le crâne, persuadés que ses cheveux agissent comme balise GPS, et la recouvre de crème pour la maintenir dans un état inoffensif. La pauvre femme se retrouve maintenant à la merci des deux hommes…
Explication de la fin
Après avoir maintes fois tenté de leur faire comprendre son humanité, Michelle est soumise à de nombreux tests pour déterminer sa nature alien. Et Teddy interprète les résultats comme des preuves qu’elle est non seulement extraterrestre, mais surtout la plus puissante d’entre eux : elle serait issue de la famille royale en personne. C’est là qu’ils sont interrompus par un policier enquêtant sur la disparition de la cheffe d’entreprise. Teddy s’en charge et laisse Don surveiller la captive.
Ayant bien compris qu’il est le plus faible et raisonné des deux, Michelle tente de convaincre le jeune homme de la libérer, que Teddy est fichu mais que lui peut s’en sortir en l’aidant. Mais Don, à bout par ces jours de souffrances psychologiques, met fin à ses jours d’une balle dans la tête. Alerté par le coup de feu, Teddy se débarrasse du policier, revient et découvre le corps sans vie de son cousin. Michelle réussit, par un stratagème de manipulation, à faire partir Teddy vers l’hôpital où sa mère est dans le coma. En effet, elle est ainsi depuis qu’elle à été cobaye pour des médicaments de l’entreprise pharmaceutique de la PDG. Michelle lui fait donc croire qu’elle a dans sa voiture une mixture alien pouvant la guérir dans le jerrican d’antigel. Le jeune homme part donc tenter de sauver sa mère, enferment sa victime dans la maison.
La jeune femme réussit à se libérer de ses liens grâce aux clés restées dans la veste de Don, explore le repaire des complotiste et découvre l’horrible vérité : elle n’est pas la première à avoir été enlevé. Teddy à fait des expériences sur de nombreuses autres personnes qui ont toutes péris dans le processus. Quand ce dernier revient après avoir fatalement tué sa mère avec l’antigel, il se retrouve face à une Michelle révoltée qui lui explique que sa race extraterrestre à trouvé la Terre à l’ère des dinosaures, êtres parfaits qui régnaient en harmonie. Mais une erreur les a fait les détruire. Ils ont donc repeuplé la planète avec des être supérieurs créés à leur image dans l’Atlantide. Les atlantes ont mis au point des robots leurs ressemblant traits pour traits, les humains, qui ont survécu à la disparition de l’espèce. Ces robots-humains ont conquis la Terre et ont commencé à s’entre-tuer, oubliant leurs origines et leur condition. Les aliens ont donc investi la planète pour voir si cette espèce était sauvable et viable pour l’écosystème, ce pourquoi ils ont fait des expériences sur les plus faibles au travers des fameux médicaments tests de l’entreprise pharmaceutique.
Michelle continue en certifiant qu’elle a compris que Teddy est l’un des chefs de cette espèce et l’un des plus évolués, ce pourquoi elle accepte de l’emmener sur son vaisseau rencontrer l’empereur alien. Le portail se trouve dans son bureau au sein de l’entreprise. Ils s’y rendent donc en pleine journée, sous le regard médusé des employés qui voient leur patronne disparue depuis plusieurs jours revenir comme si de rien n’était. Une fois dans le bureau, elle entre lentement le code de 60 chiffres sur la calculatrice et demande à Teddy d’entrer dans le placard. Ce dernier lui montre qu’il s’est vêtu d’une ceinture d’explosifs au cas où l’accueil dans le vaisseau ne lui serait pas favorable. Une fois dans le placard, Michelle, munie d’une simple télécommande, commence un compte à rebours. Lorsqu’elle dit «un», le placard explose, projetant les restes du jeune homme partout dans le bureau.
Michelle se réveille dans une ambulance, où on lui explique que les explosifs artisanaux comme ceux de Teddy ont souvent des courts-circuits ou simplement peuvent exploser avec la chaleur du corps si le sujet est soumis à un stress intense, ce qui explique la détonation soudaine dans le placard. Mais la cheffe d’entreprise n’en reste pas là : elle descend de l’ambulance et retourne à son bureau. Elle rentre dans son placard, actionne la télécommande, et…
… se retrouve dans un vaisseau extraterrestre. Accueillie par les siens, on comprend que Michelle est en réalité l’impératrice elle-même, et que tous ce qu’on pensait être une manipulation psychologique pour s’en sortir (servir des histoires d’alien à dormir debout à Teddy, le code à 60 chiffres sur la calculatrice pour gagner du temps pour que la police arrive,…) était en fait la pure vérité. Teddy avait tout bon depuis le début, de l’existence de la race extraterrestre jusqu’au fonctionnement de celle-ci (les cheveux balise, la façon de les reconnaître,…). Le cœur lourd car aimant sincèrement les humains, Michelle prend la décision de les annihiler et perce la couche d’ozone qui disparaît complètement en une seconde, telle une bulle. Le film se termine en nous montrant plusieurs endroits dans le monde, où la vie humaine a brusquement cessé. Les cadavres d’homme, de femmes et d’enfants jonchent le sol, et la nature (et les abeilles !) reprennent leurs droits.
Thèmes et messages
Le thème principal du film est évidemment les théories du complot, et plus particulièrement leurs adeptes. En effet, Teddy représente le parfait activiste extrême enfermé dans ses idées complotistes, imaginant des scénarios complètement délirants et invraisemblables mais incapable de prendre assez de recul pour s’en apercevoir. Pour les adeptes comme lui, tout est à remettre en cause, et dès que quelque chose, un avis ou quelqu’un ne va pas dans leur direction, alors il fait partie du complot. Il est quasiment impossible de leur faire ouvrir les yeux tant ils sont enfermés dans leur délire, même quand la remise en question des pensés vient de quelqu’un qui leur est très proche. C’est ce qu’il se passe avec le personnage de Don : lui représente les suiveurs, ceux qui n’ont pas d’avis et ne croient pas tellement à ces théories, mais qui les suivent pour appartenir à un groupe qui les met en valeurs ou pour suivre quelqu’un. La seule relation sociale qu’entretien Don est avec son cousin, il n’a pas le choix de le suivre dans son délire malgré le fait que ça aille à l’encontre de sa morale, ce qui explique son suicide : dévasté par ce qu’il a subi et fait subir au nom d’idées auxquelles il ne croit même pas.
Teddy est un bon moyen de comprendre la psychologie de ces adeptes, pourquoi et comment en viennent-ils à croire ce genre de choses. Bien souvent, ce sont des personnes fragiles, ayant subi de graves traumatismes et étant mentalement perdus. C’est totalement le cas de Teddy : on apprend par le policier qu’il a vécu une expérience traumatisante en étant enfant (qu’on suppose être un viol mais qui n’est jamais explicité) et on voit aussi lors d’un flashback que sa mère avait aussi ce genre d’opinions, et qu’il a toujours été élevé loin de tout dans un climat de méfiance du monde qui les entoure. Ce qui a mis le feu aux poudres est le coma de sa mère. Son incapacité à faire quoi que ce soit le pousse à trouver un coupable, qu’il trouve dans cette race extraterrestre qui serait la source de tous ses maux.
On peut noter que les personnages de Teddy et de Michelle sont tous les deux similaires en de certains points : tout d’eux souffrent d’un isolement quasi permanent, lui dans sa maison perdue dans la forêt et elle dans son duplex luxueux. Cet isolement les a déconnecté de la réalité et a altéré leurs visions des choses : sans personne pour les remettre dans le droit chemin (personne ne faisant de réflexions à cette PDG en couverture de Forbes, et Teddy n’ayant que son cousin qui le suit aveuglément), il perdent la différence entre réalité et fiction, et leur visions de leur place dans le monde en a été gravement impactée. Les notions de pouvoir et de contrôle sont très importantes : simple à voir pour la PDG, et Teddy qui s’invente ce complot extraterrestre pour s’y donner la place du révolutionnaire, avoir un contrôle sur son monde et y être quelqu’un d’important. Leurs dialogues lors des interrogatoires sont très bien écrit en ce sens : chacun essaye de prendre l’ascendant sur l’autre, d’asseoir sa vision de la réalité sur celle de l’autre. Le pouvoir change constamment de place et le contrôle de la situation passe inlassablement de main en main.
Pour finir, comment ne pas parler du fort message écologique ? Avec l’histoire de l’humanité racontée dans le film, Yórgos Lánthimos nous considère comme des parasites artificiels polluant notre belle planète. La nature et les animaux sont dépeints comme des êtres purs en harmonie avec leur écosystème, alors que nous autres robots-humains sommes artificiels et détruisons tout sur notre passage. Le film prône un retour à la nature, nous demande d’ouvrir les yeux sur les absurdités de notre comportement et de sauver la beauté de ce qu’a créé la Terre. C’est en accord avec ce message que le réalisateur à l’idée géniale de ne pas mettre de musique lors du générique de fin, seulement la nature, le vent, les oiseaux qui chantent, les abeilles qui butinent. Car à la fin, quand l’homme aura disparu ayant causé sa propre perte, seule la nature pure subsistera et pourra revenir en harmonie avec elle-même.
