Il faut, pour agir ainsi, bien connaître les manœuvres d’ingénierie sociale et avoir à la fois le culot nécessaire (mensonge communautaire) et les réseaux de pouvoir qui permettent, par les médias, de faire passer un message subliminal : « vous savez bien qui nous sommes, quels sont nos objectifs d’asservissement car nous n’en faisons plus mystère. Mais nous sommes les plus forts et, si vous nous dénoncez, vous êtes morts socialement, mis au ban de la société, jetés en prison ».
Comme le message est généralement bien reçu, la majorité fait profil bas et donne, par peur, tous les gages de sa soumission.
Dans le film, c’est exactement ce à quoi nous assistons. Les enfants contaminés ont probablement dit la vérité en avouant qu’ils mentaient et menti en prétendant que c’était une farce. La vérité « indicible » et refoulée par les ilotes est assumée par les nouveaux relais du pouvoir pour mieux en décrédibiliser la proclamation. Véritables maîtres du discours, les enfants, sous influence de la fleur, disent une chose et son contraire afin de ne laisser à l’ennemi aucune marge de réponse. La mère ne peut que se taire car les enfants se moqueraient d’elle si elle émettait le moindre doute.
La fleur n’est donc pas dangereuse, il faut le croire. Elle ne provoque aucun changement de personnalité, n’altère pas les fonctions nerveuses, ne modifie pas les affects ; elle demande simplement qu’on s’occupe d’elle. Que cette demande soit au fond une exigence qui implique l’abdication du libre arbitre, le lavage de cerveau et la dissolution des liens familiaux n’est qu’un dommage collatéral qui doit passer inaperçu. Le paradis floral qui nous attend vaut bien le sacrifice de toute l’humanité besogneuse et souffrante. Désormais, nous serons toujours heureux avec notre dose de pollen. Les coffee shops d’Amsterdam peuvent fermer, les laboratoires ont trouvé mieux.
Une certaine ambiguïté plane : les résultats de laboratoire n’auraient décelé aucun danger mais on se demande en permanence si le pollen ne véhicule pas un virus mutant et toxique, capable de troubler les esprits. Alice commet la première imprudence puis elle fait marche arrière. Elle comprend que ses employeurs, d’abord réticents, ont changé d’attitude. L’important est d’être prêt pour une démonstration aux clients car les marchés sont juteux. Alors qu’Alice demande des contrôles supplémentaires, son patron prend à la légère les effets secondaires et censure certains passages des témoignages vidéo pour tromper son employée. La critique des impératifs économiques qui s’exercent aux dépens de la sécurité et de la santé dans les laboratoires de recherche est très claire et on pense à l’usage autorisé des OGM dans l’alimentation, par exemple.
Dans la situation présentée par le film, le port du masque est efficace et il est plus facile de se protéger de la pulvérisation des pollens que des microparticules de salive. Mais comme l’appât du gain est insatiable, les manipulations génétiques et la loi du profit finissent par l’emporter.
Il y a ainsi trois niveaux de lecture. Une dénonciation des recherches génétiques quand elles sont insuffisamment encadrées, une démonstration directe du neuro-piratage des consciences par une petite oligarchie (c’est l’aspect le plus convaincant) et enfin un discours sur le rôle de la famille avec une scientifique qui est la « mère » d’une plante de laboratoire et qui, en l’absence du père, entretient une relation quasi-amoureuse mais contrariée avec son fils. L’attachement exclusif, tyrannique et destructeur que suscite la fleur arrache l’espèce humaine à ses liens naturels et suscite une forme de pseudo-normalité béate qui est en fait l’aliénation ultime.
En cultivant une ambiance froide et métallique où le vert domine, avec lents travellings dans les serres, musique kabuki et percussion, Jessica Hausner signe un film de science-fiction ambitieux, assez proche, par la thématique et le style, des œuvres récentes de Kiyoshi Kurosawa. On aimerait bien voir Hotel (2004) qui paraît minimaliste et mystérieux.