Alice Guy, une pionnière du cinéma à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé du 29 août au 25 septembre
Méconnue, voire même ignorée de la plupart des historiens jusqu’à une date récente, Alice Guy (1873-1968) fut une pionnière du cinéma, tournant plus de 400 films à une époque où les conditions de travail, le mépris de la profession et les pratiques sociales rendaient presque impossible le fait qu’une femme puisse devenir à la fois réalisatrice, directrice de production et directrice artistique. Mais lorsqu’elle est embauchée par Léon Gaumont au Comptoir général de la Photographie, c’est comme secrétaire et Gaumont lui-même ne songe pas au cinématographe qui vient de naître et se contente de fabriquer des appareils de photographie. C’est un homme d’affaires avisé qui, investissant l’argent de sa riche épouse, suit les progrès techniques et cherche à anticiper les enjeux commerciaux.
Quand Mlle Alice propose timidement à son patron « d’écrire une ou deux saynètes et de les faire jouer par des amis », elle obtient son accord « à condition que cela n’empiète pas sur ses fonctions de secrétaire ». Ayant déménagée dans un pavillon près des ateliers, elle tourne ses premiers films dans le jardin avec un opérateur qui lui restera fidèle. Devant le succès commercial rencontré par ces premières bandes (dont La Fée aux choux), Alice Guy doit se battre pour rester à la tête du nouveau service pendant onze ans, jusqu’en 1907. Elle bénéficie du soutien de Gustave Eiffel, commanditaire bienveillant de la société. C’est elle qui embauche ses assistants qui ont pour noms : Ferdinand Zecca, Victorin Jasset, Louis Feuillade. L’ironie voudra que ces noms passèrent à la postérité tandis que le sien sombra dans l’oubli.
Peu expérimenté, mais qui l’était alors ?, Gaumont aménage les studios comme des scènes d’opéra, confondant théâtre et cinéma. La violence de l’éclairage artificiel qui aveugle littéralement les acteurs amène ceux-ci à porter plainte contre la compagnie, obligée de céder. Alice Guy ne peut plus lire et souffre d’un rétrécissement de la rétine. Un permis du préfet de police, Lépine, autorise les tournages dans les rues de Paris, autrement bien compromis par les mégères et les sergents de ville. Les figurants, sous-payés et parfois rackettés par le chef de figuration, jouaient le rôle d’espions et deux versions différentes du même film pouvaient paraître simultanément dans les catalogues Gaumont et Pathé. Alice Guy est la première à tourner des phonoscènes à l’aide du procédé chronophone qui fut vendu à l’étranger, jusqu’en Amérique.
Passée la trentaine, Alice se marie avec Herbert Blaché-Bolton, un Anglais plus jeune qu’elle et embauché par Gaumont pour ses succursales de Berlin et Cleveland (Ohio). Mais elle parlera toujours de son « prince charmant à [elle], le cinématographe ». Si le voyage en Allemagne l’enchante, le départ aux Etats-Unis est difficile car elle ne parle pas la langue. Son témoignage sur les mœurs yankees, les sectes, la laideur de Chicago et le peu d’attrait qu’elle trouve à Chaplin malgré son succès grandissant ne l’empêche pas d’apprendre l’anglais et poursuivre sa carrière de cinéaste, dirigeant des actrices célèbres, comme Bessie Love ou Olga Petrova. Elle tourne entre autres des westerns, des films d’aventures ou historiques, des mélodrames. Dans Making an American Citizen (1912), elle reproduit une scène dont elle fut témoin à son arrivée à New York , à la descente du bateau.
La Grande Guerre marque un changement stratégique de la compagnie Gaumont lié à la fin de la prédominance européenne dans l’industrie. En 1919 et 1920, Alice Guy devient l’assistante de son mari qui la quitte pour une starlette imposée à Gaumont par un banquier cosmopolite, principal actionnaire. A l’âge de 47 ans, elle revient en France avec sa fille Simone et s’installe à Nice où elle tente, en vain, de se réintroduire dans le monde du cinéma (studios de la Victorine). Devenue pauvre avec l’arrivée du parlant, elle fait du sous-titrage et des résumés pour Le Film complet. Simone, entrée à l’ambassade américaine en 1940, déménage à Vichy en 1941 puis en Suisse jusqu’à la fin de la guerre. Sa mère la suivra toujours dans ses affectations, à Paris, Washington ou Bruxelles. En bonne santé jusqu’en 1964, elle meurt en 1968.
Appelée Mlle Alice ou Madame Blaché, Alice Guy fut une femme énergique et enthousiaste qui laissa de bons souvenirs à ses acteurs et collaborateurs. Propulsée jeune dans un emploi d’homme, elle évitait toute familiarité avec son entourage professionnel pour faire preuve d’autorité tout en restant aimable. Pionnière d’un art balbutiant où les droits d’auteur étaient bafoués et les génériques incomplets, elle toucha à tous les genres et la grande majorité de ses films sont perdus. Nous ne verrons probablement jamais In the Year 2000 (1912), comédie d’anticipation féministe, The Beasts of the Jungle (1913) avec la tigresse Princesse, The Pit and the Pendulum (1913) d’après Edgar Poe, au tournage éprouvant avec des rats, The Dream Woman (1914) d’après le roman de Wilkie Collins. Mais la Fondation Pathé propose tout de même une quinzaine de titres dans ce cycle consacré aux pionnières du cinéma muet.