Critique Materialists de Celine Song 

J’ai vu Materialists sans grande attente — absence de sélection à Cannes, sortie discrète malgré le casting, critiques assez mitigées, Chris Evans dans un des rôles principaux… Mais très vite, je me suis retrouvé embarqué par la pertinence et la subtilité du propos, avec un regard cynique, presque brutal malgré ses apparences de comédie romantique new yorkaise (pléonasme ?)

Mais du coup, qu’est ce qui cloche réellement dans ce film ?

Synopsis

Une jeune et ambitieuse matchmakeuse new-yorkaise se retrouve dans un triangle amoureux complexe, tiraillée entre le  » match  » parfait et son ex tout sauf idéal.

Celine Song est devenue, avec Past Lives, une voix singulière du cinéma romantique réfléchi. Sur un schéma qui évoque la trilogie Before de Linklater, Past Lives démarre de façon assez classique, voire convenue, avant de gagner en force et en justesse dans sa seconde moitié. Le final, sobre et poignant, révèle toute la richesse émotionnelle du récit — et d’un personnage secondaire qui, soudain, devient essentiel.

Materialists poursuit l’exploration des contradictions contemporaines : les nouvelles normes du dating, la marchandisation de soi, les rapports entre féminisme, classe et émotion. Son écriture est précise, le personnage de Lucy pas inintéressant dans ses ambiguïtés. Dakota Johnson lui offre une performance froide mais vulnérable, tandis que Pedro Pascal incarne l’autre versant : la séduction calculée et l’argent décoratif. Chris Evans ? Egal à lui-même, pas vraiment de charisme, pas vraiment d’acting… mais est-ce que ce personnage écrit sur un post-it lui permettait réellement d’aller chercher plus ?

Materialists dissèque la romance à l’ère des algorithmes et des checklists : argent, taille, statut deviennent autant de critères de sélection. Lucy, matchmaker brillante et cynique, vend l’amour comme un investissement. Ce qu’elle apprend, c’est notamment que certains critères aveuglent totalement à l’humanité derrière le “profil”. C’est tellement vrai. Tellement de geons se basent avant tout sur le physique pour leurs choix de dating ou pire encore, de couple. Commet un critère parmi tant d’autres, qui devrait être secondaire car finalement assez éphémère peut-il prendre autant d’importance ?

Dans Materialists, Celine Song explore deux types de relations à travers une mise en scène contrastée : l’une élégante et distante dans des décors luxueux, l’autre plus brute et intime, tournée caméra à l’épaule dans les rues de New York ou en voiture. Le film confirme son talent à capter l’émotion dans les détails du quotidien. Elle mêle satire sociale et tendresse pour aborder des thèmes comme le rapport à l’amour, à l’argent, et à soi. Elle invite chacun à réfléchir aux compromis faits pour atteindre une forme de bonheur, finalement bien plus importants que les cases à cocher.

La tension entre Harry (Pedro Pascal), figure de la réussite financière sans profondeur émotive, et John (Chris Evans), symbole d’un amour imparfait mais sincère, incarne parfaitement ce choix culturel : sécurité vs authenticité. La maturité du film réside dans son refus de trancher moralement, choisissant plutôt l’observation critique du système, jusqu’à un certain point…

Le début est efficace, porté par des dialogues ciselés,qui nous offrent une satire sociale plutôt fine. Mais dès l’introduction de l’intrigue secondaire de Sophie, personnage qu’on croyait écarté rapidement et victime d’une agression sexuelle, le film s’emmêle. Le ton devient moins tranchant et l’émotion ne suit pas toujours. On peut clairement évoquer une perte de rythme par moments, un certain déséquilibre qui fragilise l’ensemble malgré la force du propos et plusieurs noeuds dramatiques qui relancent plus ou moins bien l’attention juste avant que l’on s’ennuie réellement.

Le double épilogue : l’intelligence sabordée

Et puis… ce double épilogue romantique. D’abord le beau discours pour convaincre l’autre, cliché de comédie romantique total et contradiction violente de tout ce qui a été développé précédemment. Pour finir, parce que bon, deux épilogues ratés valent mieux qu’un, John commande deux repas halal, offre une bague de fleur à Lucy, et leur union est scellée par un geste mignon rappelant la première scène du film. Mais ces séquences finissent par étouffer le film sous des clichés dont il semblait vouloir se détourner.

On passe d’une satire sociale percutante à un happy end tout droit sorti de la comédie romantique classique. Une note ultra-sucrée qui annule une partie de la subtilité et de l’ambiguïté qui faisaient la singularité du récit. Materialists est un film parfois passionnat, riche en réflexions sur le désir, les rapports de classe, la place du corps et du capital social dans le couple moderne. Mais il s’effondre en cours de route : le film alterne entre le gentillement subversif et le hautement consensuel. L’épaisseur critique se perd sous la promesse trop convenue d’un amour qui sauve tout. C’est un jeu de surface, élégant, qui aurait gagné à rester plus lâche, moins affirmatif, probablement finir 30 minutes plus tôt, lors de cette escapade à la campagne qui ouvre de belles réflexions plutôt que de nous imposer une vérité toute faite, limitée et déjà vue 1 millions de fois.

Materialists aurait pu être l’autopsie brillante d’une génération amoureuse de son propre miroir, de son égo. Mais à force de vouloir plaire aux rêveurs comme aux lucides, le film finit par se trahir. On en ressort un peu frustré, comme après un date trop bien préparé : l’intention était belle, la conversation intelligente… mais au moment de passer à l’acte, on sent bien que c’est du storytelling.

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