La réalisation au service des personnages
La première chose qui marque sur le Lauréat est le brio de la réalisation de Mike Nichols. A quoi reconnait-on une bonne réalisation ? C’est difficile à dire, car comme on peut le lire dans Faire un film de Sidney Lumet, une bonne réalisation ne doit pas se voir, mais apporter au ressenti du film. Au premier visionnage du film, le spectateur sera avant tout soufflé par l’histoire, la symbolique et la progression (ou non) de ses personnages plutôt que par sa réalisation.
Cependant, ces trois points ne seraient pas aussi impactants sans une réalisation exceptionnelle en amont. Exceptionnelle quant on s’y penche, mais pourtant suffisamment discrète pour ne pas « étouffer » le film.
Benjamin Braddock enfermé dans un carcan
Sur la première partie du film, tout tend à présenter Benjamin comme prisonnier du carcan. Carcan familial (la proximité et la docilité vis-à-vis des choix de ses parents), carcan de la tradition (le barbecue du dimanche midi), carcan professionnel (il travaillera dans le plastique avec l’ami de son père), carcan sexuel (« cela ne se fait pas »).
L’enfermement le plus total est symbolisé dans la scène du scaphandre. Présentée d’abord du point de vue de Benjamin (le rendant presque étouffant) puis en plan plus large en le montrant perdu dans la piscine.
Dans cette scène, non seulement Benjamin est enfermé dans le choix de ses parents (le cadeau pour son diplôme), mais cet enfermement est doublé quand il est dans la piscine. On transforme alors un potentiel symbole de liberté (la plongée sous-marine peut-être vue comme une délivrance, la découverte d’un monde nouveau) en un symbole d’enfermement. Le fait de ne pas l’avoir dans la mer (donc un lieu potentiellement infini) mais dans une piscine (donc un espace totalement confiné) le rends presque terrifiant.
Enfin, son enfermement volontaire dans une cabine téléphonique pour donner le rendez-vous à Mrs. Robinson à l’hôtel Taft sera une de ses dernières actions imposées par le carcan.
La libération de Benjamin à l’écran
Une fois la relation avec Mrs. Robinson enclenchée, on peut voir Benjamin prendre de la hauteur, briser en quelque sorte les chaînes qui l’enfermaient là où il était sensé être. Il en sort par ses actes, mais Mike Nichols décide de lui donner un coup de pouce derrière la caméra.
Cette ouverture est flagrante quant il arrive à Berkeley. La scène nous offre la scène la plus large du film où l’on peut voir Benjamin en hauteur, seul au milieu du campus de l’université. Benjamin y découvre la liberté, l’émancipation, mais aussi s’imprègne potentiellement de l’esprit de rébellion qui naît en Californie en 1967.
C’est ainsi que l’univers autour de Benjamin s’aère au même titre que ce dernier refuse l’avenir tout tracé qui semblait être inéluctable au début du film.
La progression de Benjamin dans la vie
La progression de Benjamin dans la vie s’exprime également par ses moyens de transports. Si il entre dans notre vie sur un tapis roulant, lieu où il est totalement immobile et soumis à un cheminement prédéfini, Benjamin changera de moyens de transports au cours de sa progression durant cet été.
Cependant, une malheureuse panne d’essence le force à finir le trajet vers la chapelle de Santa Barbara à pied. Une fois sorti de cette dernière avec Elaine, les deux tourtereaux s’enfuient dans un bus. Bien qu’ils n’en connaissent pas la destination (et qu’ils peuvent en sortir à loisir), Benjamin et Elaine reviennent dans un moyen de transport limitant bien plus leur liberté.
Nous reviendrons sur cette fin ouverte. Il n’empêche que pour ces nombreuses raisons (et bien d’autres), l’Oscar du meilleur réalisateur est totalement justifié pour Mike Nichols en 1968. La réalisation du film ne laisse rien au hasard et est en total lien avec l’évolution des personnages, et notamment Benjamin Braddock. Au fur et à mesure que Benjamin s’émancipe, les techniques de réalisation changent, passant d’un rendu transmettant la sensation d’enfermement à une liberté plus grande.
Lire la suite : Le Lauréat, premier symbole de la rébellion de la jeunesse
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Merci beaucoup pour ton excellente Analyse.