2ème version (1ère partie du film)
Version alternative, glamour, valorisante pour Diane / Betty.
[1] Aéroport. Arrivée de Betty Elms à Los Angeles. « I just came here from Deep River, Ontario, and now I’m in this dream place ». Irène et son compagnon forment un couple âgé, en apparence bienveillant, qui accompagne la jeune fille innocente et éblouie jusqu’à son taxi. Mais, dans le leur, leur sourire se transforme en rictus. La cité du cinéma ou des anges n’est pas nécessairement celle d’un rêve, mais la ville où l’on peut imaginer un scénario différent pour une même histoire. [2] Havenhurst Dr. Arrivée de Betty au seuil de la maison de sa tante Ruth, maison dont le portail extérieur ressemble à celui de l’entrée des studios (Paramount dans la réalité). L’espace privé qu’elle explore pièce par pièce est donc celui d’un décor conçu à l’intérieur des prestigieux studios.– Les frères Castigliane représentent une mafia de fantaisie qui va lui dicter son choix (« this is the girl ») sur le casting. L’actrice principale de la future production sera bien une Camilla Rhodes, comme dans la version 1, mais pas la Rita, réservée à Betty. La nouvelle Camilla, une blonde délicieuse, est celle qui embrassait la brune à la fête près de la piscine. Remarquons que, pour cause d’enquête, Betty ne passera aucune audition avec Adam. Ils échangent seulement un regard. Luigi, le buveur d’expresso, qui recrache le café (ce que Diane n’a pas osé faire à la fête) retire à Adam la direction de son film.
– Mr Roque, croisement du Dr Mabuse et du Magicien d’Oz, est un nain omniscient qui prétend tout contrôler par des dispositifs sophistiqués et aussi le simple téléphone. Il valide l’idée de conspiration même si il n’en est pas l’instigateur malgré les apparences. Il recherche surtout « la fille ». Les plans en plongée sur les toits transforment la ville en réseau. Le réseau n’est pas vraiment le véhicule de la signification, il produit la signification en se développant. La signification est celle d’un entrelacs.
– Le nettoyeur musculeux de la piscine couche avec la femme d’Adam et donne la raclée au mari cocu. Adam se venge misérablement en noyant de peinture rose les bijoux de sa femme. Il garde ensuite sa veste joliment tachée.
– Le cowboy : « How many drivers does a buggy have ? » « You will see me one more time if you do good, you will see me two more times if you do bad ». Il ne peut y avoir qu’un seul conducteur et ce n’est pas Adam. Il devra mener son film où on lui dit et choisir l’actrice qui lui est imposée par la mafia. On peut penser que le cowboy, messager et justicier, s’adresse à un auditoire plus large puisqu’il apparaît bien trois fois en tout, mais deux fois seulement à Adam, et pas dans la même version de l’histoire. Le cowboy est le seul personnage qui n’est pas transformé d’une version à l’autre, ce qui contribue à son caractère surnaturel (en plus de son impassibilité, de son élocution et de son apparition/disparition mystérieuse au corral, liée aux fluctuations électriques).
[8] Le tueur, dans le bureau, qui abat brusquement un homme, puis deux témoins : une grosse secrétaire et un homme de ménage. Il tire aussi sur l’aspirateur. Le tueur et sa victime sont en conversation familière et ils rient sans qu’on sache de quoi. La victime est en possession d’un document sur l’Histoire du Monde (un dictionnaire des œuvres ?). Comme il est maladroit, le tueur ne pourrait être choisi pour un contrat sérieux d’assassinat. Cette scène loufoque permet de rendre improbable l’hypothèse de l’embauche du tueur au Winkie’s. [9] Le monstre (joué par une femme), que Dan a vu en rêve près du Winkie’s, n’a rien terrifiant. Son apparition, soudaine et brève, à l’arrière du restaurant, permet difficilement de le distinguer. Il ressemble davantage à un clochard hirsute ou à un gnome de conte de fées. Pourtant, il obsède Dan qui se confie à un ami et provoque sa mort. Cette figure noirâtre et informe fait penser à un cadavre. Celui de Sierra Bonita ? Dans ce cas, le monstre serait une préparation à la vision traumatisante du corps putréfié à Sierra Bonita. Une manière de désamorcer l’horreur à venir. Dans la version 1, le monstre précipite le suicide de Diane après le meurtre. Mauvais génie dans la version 1, gentil monstre dans la version 2 malgré la mort de Dan, dédramatisée. [10] Complices, Betty et Rita mènent l’enquête pour découvrir l’identité de Rita. Elle disposent bien d’une clé (la bleue) mais elles ne savent pas quelle serrure ouvrir. La serveuse du Winkie’s s’appelle Diane. C’est un jeu excitant pour les deux amies qui découvrent l’existence d’une certaine Diane Selwyn et même son numéro de téléphone et son adresse. « Hello it’s me, leave a message ». Mais qui est ce moi si c’est bien Diane qui répond ? La Diane, actrice frustrée, jalouse, meurtrière et suicidaire est à exclure. Il faut une autre Diane, radieuse, chanceuse, naïve et ardente, sexy, altruiste. En un mot Betty ou… Rita puisque Rita est un miroir pour Betty qui lui renvoie l’image de la femme fatale, mêlée peut-être à un vol et en possession de l’argent que ses complices veulent récupérer. Rita est la star inconsciente qui propulse Betty dans le monde du cinéma, sans qu’elle lui doive rien (c’est Rita qui lui doit tout). Au lotissement de Sierra Bonita, les deux amies rencontrent la voisine de Diane qui est méfiante et ne paraît pas les reconnaître. La voisine, qui a les apparences d’une lesbienne butch, parle d’un échange d’appartements et leur indique la direction de son ancien pavillon. Elle veut les accompagner pour récupérer quelques affaires puis se ravise. Les « deux orphelines » se dirigent seules vers le pavillon fermé. Elles pénètrent à l’intérieur et découvrent le cadavre défiguré d’une inconnue qu’elles identifient avec la fameuse Diane.A partir de ce moment, Betty et Rita ne peuvent en apprendre davantage sans risque de court-circuiter les deux versions. La nouvelle Diane doit absolument mettre à distance sa propre mort pour ne pas se reconnaître dans le cadavre. C’est pourquoi ce n’est pas Naomi Watts qui joue le rôle de la morte mais une autre actrice. C’est pourquoi aussi certains détails (vêtement, nombre d’oreillers) varient d’une version à l’autre. Il fallait ces différences pour éviter la déflagration que constituerait une interférence entre deux mondes parallèles, c’est-à-dire entre deux versions d’une même histoire, deux réalités ou deux rêves… peu importe. Car si l’une des versions est un rêve, l’autre est un cauchemar, à moins qu’elles ne soient toutes deux également réelles. L’emprise du destin ne joue pas dans la fiction puisqu’un scénario ne raconte jamais qu’une histoire possible. Au spectateur de choisir ou ne pas choisir, comme David Lynch.
Le monde est une scène qu’il faudra un jour ou l’autre quitter. Betty est prise de tremblements convulsifs car elle ne va pas disparaître sans réagir physiquement. Puis elle enlace tendrement Rita qui découvre dans son sac une boite bleue. Comment la boite s’est-elle trouvée dans le sac de Rita importe peu. Il suffit de noter une ressemblance entre l’arrière-cour du Winkie’s où le monstre manipule la boite et la cour du Silencio, le cabaret étant lui-même une boite, à tout le moins une zone frontière, un domaine où l’espace-temps se modifie tout en s’inscrivant dans la continuité narrative de la version 2. Elle sont donc venues en ces lieux intermédiaires – qu’auraient pu arpenter le cowboy – pour connaître la clé de l’énigme, pouvoir enfin utiliser la clé bleue. Et elles ont maintenant la boite qu’ouvre la clé. Elles peuvent retourner chez elles, car elles vont savoir. Quoi ?
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