Récemment élu au sein des personnalités indiennes les plus influentes dans le monde par India Today, Anurag Kashyapfait parti des réalisateurs les plus dynamiques de sa génération. Comptant plus de cinquantefilms à son actif, que ce soit en tant que réalisateur, producteur, scénariste ou encore acteur, il présente en 2016 son troisième long-métrage sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs : Raman Raghav 2.0.
Un film de genre
Un film de genre. Un autre. Le thriller cette fois-ci. Des références et un style occidentales. Mais des sujets et personnages enracinés dans un environnement indien. Point de mélodrame localici. Ça ne fait aucun doute, nous sommes bien sur une nouvelle œuvre d’Anurag Kashyap.
Focus sur cette version légèrement différente de la pellicule originelle, The Mumbai Murders, en salles obscures ce mois-ci.
Duel entre alter ego
The Mumbai Murders puise sonorigine dans l’histoire du schizophrèneRaman Raghav, l’illustreserial killer ayantassassiné une quarantaine de personnes à Mumbai dans les années 60, décritcomme « le pire et le plus terrifiant assassin en série de l’inde ».
Faute de moyens pour reconstituer un film dans les années 1960, le réalisateur a usé decefait divers pour l’inscrire dans un contexte politique, économique, et social.
C’est ainsi qu’Anurag Kashyap nous dévoile un scénario atypique, prenant place une cinquantaine d’années plus tard.
A Mumbai, Ramannatue, en série. Face à lui, Raghavan, un jeune policier instable qui n’a qu’une obsession : le retrouver et l’arrêter.
La chasse est lancée, et les meurtres ne cessent de se multiplier.
Mais sait-on réellement qui est la proie?
A travers une histoire scindée en huit chapitres, ce sont deux véritables entités qui se font face pendant plus de 120minutes, alter égo l’une de l’autre.
Nous observons làdeux facettes d’un même personnage. Deux hommes incarnant le bien et le mal. Mais deux âmes, que seul un badge saurait dissocier, partageant les mêmes nature violente et envies malsaines, manifeste d’une société indienne actuelle.
« Le bon sens nous dit que les choses de la terre n’existent que bien peu, et que la vraie réalité n’est que dans les rêves. », glissaitCharles Baudelaire dans son essai Les Paradis Artificiels en 1860.
Un fait d’actualité. Ramanna et Raghavan nous entraînentavec eux dans les méandres de leur vésanie.
Deux êtres qui se noient chacun dans leurs paradis artificiels, en quête d’une vie meilleure.
D’un côté, un criminel noctambule addict au crime, déversant sa fureur et sa rage dans les nuits de la capitale indienne, un désir de tuer traduit par une cicatrice sur son visage.
De l’autre, un commissaire constamment éclipséderrière ses lunettes, dissimulant avec difficulté ses fortes envies d’ecstasy, de cocaïne, et de sexe à n’en plus finir.
Là où ce thriller devient particulièrement saisissant, c’est tout d’abord par sa manière de traiter la question de l’homicide.
Au fur et à mesure que le projecteur s’affaiblit, la frontière entre le bien et le mal devient ambiguë, aussi bien pour le commissaire que pour le spectateur qui voit à travers ses yeux, et qui, conjointement avec celui-ci, n’en saisit tout le sens que dans les derniers instants.
Faisant quelque peu écho à American History X, c’est également plaisant d’être confronté à un long-métrage présentant les criminels comme des personnes avec une pensée construite, dotée d’arguments et non comme des bouchers sans cœur ni cerveau. Nous assistons ici à de multiples discussions senséeset échappons au classique « tuer c’est mal ». Non, tuer, c’est logique, qu’on l’accepte ou non.
Une réalisation hors des conventions
Si Quentin Tarantino se singularise par sa narration postmoderne et non linéaire, Anurag Kashyap, lui, s’illustre par sa narration non conventionnelle,modeléesurune intrigue hors-du-commun et pluridimensionnelle.
Une intrigue multidirectionnelle également, car il faut ajouter à cela des oscillations incessantes entre divers éléments. Sans parler des nombreux tabous, ici mis en évidence. Comme à son habitude, le réalisateur injecte tout ce qu’il trouve extrême autour de lui, de manière implicite ou explicite. Le poids de la tradition et la question de l’honneur familial, la condition des femmes et les agressions sexuelles, ou encore le sexe et les relations hors-mariage. Tant de sujets défendus au Sous-Continent indien.
Sur le plan des comédiens,difficile de ne pas succomber à la folie de notre duo psychédélique qui crève l’écran.
Ramanna, interprété par Nawazuddin Siddiqui, grandhabitué du réalisateur (Gangs of Wasseypur et Sacred Games sur Netflix), est littéralement transfiguré et sans limites à l’écran. Le personnage sombre et torturé que l’on nous présente est plus qu’inquiétant, les yeux coruscants à la nuitée, tel un prédateur.
Raghavan lui, se montre frivole. Le commissaire, fils du réalisateur bollywoodien Sham Kaushal, se joue de son apparence et de sa gestuelle pour accentuer l’ambiguïté de son personnage et de son enquête.
Le tout sans omettre l’habile Sobhita Dhulipapla, Miss Terre 2013, qui fait ici ses premiers pas au cinéma, imperturbable devant la caméra.
Si tout au long du film tension et angoisse sont à leur paroxysme, c’est parce que la mise en scène n’en est pas moins attrayante.
Le générique de début, aux aspects frénétiques et épileptiques, nous donne un avant-goût brusque de ce qui va suivre. Un noir s’ensuit, et nous sommes soudainement apostés dans l’ambiance nocturne de La Cité des Rêves.
Beaucoupde plans macabres sont présents dans ce film, et c’est également le cas pour la violence.
Foisonnante, abondante, le réalisateur l’exhibe sans retenue, et la suggère, par le biais d’ellipses narratives ça et là, laissant les scènes les plus virulentes errerdansl’imagination des spectateurs.
Les couleurs, elles, sont belles. Et font ainsi naître une atmosphère particulière. A l’image du rouge, très violent, en excès.
La Ville Maximum
Les décors, eux, sont innovants, quelque peu. Le long-métrage nous offre un visage inédit de Mumbai, avec un point de vue que l’on a peu coutume d’apprécier dans le cinéma indien. Dépaysement total et réussi avec lacapitalequi devient un personnage du filmà part entière, sans visage ni corps mais avec une personnalité bien distincte, dictée par ses codes.
Conformément à ses principes, Anurag Kashyap posesa caméra sans détour sur ce qu’est l’un des plus grands bidonvilles du monde : Dharavi, recensantplus de 500 000 habitants au cœur de « La Ville Maximum ».
Paradoxe ultime d’une des plus importantes plates-formes financières mondiales où les logements des pauvres côtoient les palais des riches.
Une morale subliminale
Somme toute, voici le bilan favorableque nous pouvons établir sur The Mumbai Murders. Une œuvre plaisamment hétérogène, dont notre conclusion pourrait se présenter sous un autre pitch plus analytique.
A savoir : un tueur en série exposant sa supériorité aux autres hommes, qui eux ont besoin d’excuses pour assassiner. Un quidamqui lui, tue, uniquementparce qu’il veut tuer. Message subliminal religieux, politique et sociétal. A méditer.
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