Dans l’Autriche de demain, les enfants sont invités à dépasser leur potentiel pour rester « optimal ». Alexander Dworsky vit et travaille dans cette société froide et aseptisée de la performance et du conformisme, tant professionnel que privé. Les recalés du système rejoignent la « Forteresse du sommeil », sorte d’asile gardé par des cerbères qui laissent tout de même entrer et sortir les visiteurs. La scène où Alexander comprend qu’il est cerné et qu’on pourrait le retenir est significative.
Le monde est hyper-capitaliste, mais l’esprit de jouissance et l’égoïsme semblent pour le moins sacrifiés entièrement à l’intérêt productif, ce qui ne cadre pas avec le modèle de société libérale-libertaire qui domine en Occident. Dans cette anticipation, la réalisatrice Ruth Mader décrit plutôt une société de type libérale-sécuritaire où nos agents de sécurité et de contrôle qui déjà, aujourd’hui, envahissent l’espace public sont devenus omniprésents à tous les niveaux.
Life Guidance n’est pas un organisme d’Etat mais une agence privée à son service. Nous comprenons que L’Etat sous-traite le contrôle des citoyens auprès d’un prestataire. La police existe toujours et Alexander va y dénoncer le rôle de Life Guidance après le suicide d’Iris mais l’officier déclare ne rien pouvoir faire. Ainsi, la police officielle, composée de fonctionnaires, est impuissante devant une sorte de police parallèle qui psychiatrise le comportement des mal pensants ou des asociaux en infantilisant les adultes, leur imposant des tests absurdes ou des suivis intrusifs.
Life Guidance est censé apporter un support psychologique pour maintenir les citoyens au top, en cas de défaillance. La figure en apparence bienveillante de l’agent Gregor (Florian Teichtmeister), assigné à Alexander, est un personnage sinistre dont la présence intermittente mais insistante vire au cauchemar. C’est la plus grande réussite du film. Ses apparitions répétées auprès du chef de famille, à n’importe quel instant, sont celles d’un mauvais génie, d’un genre de démon familier observant le couple, se substituant au père auprès de son fils. Au lieu d’aider le foyer à se maintenir, il vient le détruire de l’intérieur.
Remarquable dans toute sa première moitié, le film distille une angoisse feutrée et la tension ne fait que s’accroître au milieu d’un décor ultra-moderne et d’ habitants transformés en automates, individus isolés et hébétés, impuissants et soumis devant des responsables anonymes qui décident de leur avenir. La scène du suiveur suivi qui mène Alexander vers Iris, autre personne surveillée et victime d’une injustice, aboutit à la décision de se rendre au siège de Life Guidance pour rencontrer un responsable.
Assez réaliste jusque là, le film s’oriente alors vers la fable énigmatique. Christopher, s’emparant du badge d’un des agents, réussit à pénétrer au siège de la société. Sans rien dévoiler des découvertes qu’il y fait, la déception est un peu au rendez-vous, car l’invraisemblance de la situation n’est pas soutenue par le scénario qui se relâche. A la différence, par exemple, de Under the Silver Lake où tout le dispositif narratif est construit pour nous faire croire à l’incroyable…et ça marche. Beaucoup moins ici, malgré la tentative d’en appeler directement au cinéma comme instrument de manipulation extériorisant les peurs et les désirs.
Pas de contrainte apparente exercée sur les citoyens qui comprennent, progressivement, où est leur place et intériorisent rapports négatifs et déclassements. Même après un vol au siège de l’agence ou un acte de violence en forêt, peut-être un crime, Alexander reste « libre » et est reconduit chez lui dans une ambulance high tech. « Ou suis-je censé vous conduire ? » demande le chauffeur. Mais quelle vie peut-il mener auprès de sa femme quand l’ « amour » qui les lie ressemble à une simple dépendance générée artificiellement pour les besoins de la cohésion du groupe.