Concrètement, Butterfly kisses est un film sur la pédophilie. Le traitement d’un sujet aussi noir
demande un recul nécéssaire pour ne pas être trop cru, et surtout une maitrise nécéssaire du sujet
pour ne pas tomber dans la pitié ou le rejet. Comment Butterly arrive-t-il à
décalquer de manière neutre, la « Maladie du siècle » ?
Synopsis
Jake et ses copains sont en pleine puberté : ils jouent au billard, regardent des films
pornos en buvant de l’alcool… Mais tandis que les autres sont littéralement obsédés par les filles, Jake peine à s’y intéresser. Alors que ses amis lui mettent la pression pour qu’il perde sa virginité, Jake sent bien que ses pulsions l’attirent dans une tout autre direction.
La zone
D’abord, Rafael Kapelinski, le réalisateur, prend soin d’intégrer son personnage principal dans un
contexte bien particulier : celui de la zone. Jake vit en apnée parmi les immense barres
d’immeubles d’une cité anglaise quelconque. Son cadre de vie est facilement résumé par des
cages d’escalier en contre-plaqué, la cour d’immeuble en macadam et le café du quartier aussi
triste que morne, considéré malgré tout comme un lieu « cool » qui le fait sortir de son quotidien.
Le personnage nage dans le mortifaire, et son entourage ne fait que creuser encore plus un
tombeau déjà bien profond. Fidèle au carcan d’une cité, le film rend compte d’un milieu social très
affecté par le chômage et la solitude. L’immense majorité des plans nous confine dans ces tours
d’aciers impersonnelles. Un aspect renforcé par le traitement du film en noir et blanc.
Le noir et le blanc
Ensuite, il faut souligner la qualité esthétique du film. Le combo classique Noir et blanc/plans fixe a
de beaux jours devant lui, et avec raison. En plus de quelques plans qui valent le détour, le noir et
blanc met en relief le côté ambivalent de la maladie, tantôt pour adoucir une histoire bien glauque,
tantôt pour insister sur l’horreur des gestes. L’absence de couleur explicite aussi l’antimorale
ambiante, dont la plupart des protagonistes qui entrent en interaction avec Jake font preuve. Il
suffoque, livré à lui-même et victimisé par des ados paumés pour qui l’école n’est plus qu’une
distraction, déjà hors-jeu alors que la vie n’a pas commencé.
La pédophilie
Enfin, Rafael Kapelinski s’intéresse au problème de la pédophilie actuelle. Sans tenter de la
justifier par un milieu ou une éducation particulière, il donne à voir par un aspect neutre le « vice
du siècle », sujet de prédilection des chroniqueurs de fait-divers. Il est assez aisé d’appuyer sur
cette corde sensible depuis l’affaire Marc Dutroux en Belgique, cette perversion qui terrorise les
foules revient régulièrement dans les médias.
Sujet sensible, donc. d’autant plus que si l’on en croit les travaux de Serge André, un des rares
psychiatres à avoir traité des patients dit « pédophiles », il existe plusieurs traits de cette maladie
qui est en fait à nommer au pluriel (leS pédophilieS).
Le film réussit à mon sens à l’illustrer la pédophilie, parce qu’il ne cherche justement pas à définir
ce qu’elle est exactement. Aussi épouvantables que peuvent en être les conséquences, le film ne
tranche pas sur l’origine, sur la définition de ce vice ou de cette maladie. Suivre un personnage
principal qui est en détresse provoque forcément de l’empathie pour lui, assister à son crime
déclenche forcément un écoeurement.
Si la pédophilie est en elle même un sujet si monstrueux qu’elle fait sensation lorsqu’elle survient
dans notre société, il est intéressant de noter que c’est aussi son aspect mystérieux qui rend ce
sujet ignoblement intéressant. L’avancée psychiatrique est pratiquement au point mort, et les
journaux qui traitent ces crimes successifs ne font en général que décrire le plus croustillant des
événements. Pour résumer, personne ne veut s’intéresser au problème mais tout le monde crie
scandale lorsqu’un drame arrive. Pire, la culture populaire a toujours entretenu l’idolâtrie de
l’enfant, de manière ambigu. Big up aux années 80 où l’Humanité publiait des manifestes en faveur de la pédophilie, ou rien qu’à voir aujourd’hui le nombre de boutiques spécialisées pour
nourrissons qui ouvrent à Paris ou Berlin.
Serge André le dit mieux que moi : « Avons-nous oublié les contes les plus connus qui ont ravi
notre enfance et que nous transmettons toujours avec plaisir à nos propres enfants ? Avons-nous
oublié que le personnage qui symbolise la fête des enfants dans la culture chrétienne, saint
Nicolas, est lié à une histoire d’enfants livrés à la boucherie ? Avons-nous oublié qu’en 1919 – il y a
donc quatre-vingt ans -, Freud établissait que le fantasme « Un enfant est battu » est l’un des fantasmes les plus répandus chez les névrosés aussi bien que chez les pervers ? Ne savons-nous pas que tout parent, tout éducateur, tout instituteur éprouve, à un moment ou l’autre, et parfois de façon lancinante, l’envie féroce de corriger cruellement les enfants dont il a la charge, et qu’il arrive, même aux meilleurs d’entre-eux, de ne pouvoir toujours réprimer cette envie ? »
Butterly kisses ouvre donc une réflexion sur la pédophilie et sur l’amour croissant de la société
pour les enfants. Un amour qui est malgré tout ambigu, et dans lequel notre protagoniste se noie.
Toujours notre pape André : « Le phénomène est d’autant plus remarquable que nos sociétés
occidentales contemporaines semblent désormais cimentées par l’idéal sacro-saint, mais
purement imaginaire, de l’enfant-roi (…). Est-ce que nous ne sommes pas arrivés au bord d’une
espèce de délire collectif ? Qui ne voit l’hypocrisie de ce culte de l’enfant innocent, vierge de corps
et d’esprit, l’enfant merveilleux et pur dont l’univers est censé n’être peuplé que de rêves et de jeux
? Qui n’observe, dans le langage et l’imagerie publicitaire et médiatique d’aujourd’hui, que la plus
belle marchandise du monde est désormais un bel enfant ? Qui n’est frappé de constater que
l’exemple de notre Cité idéale nous est proposé sous deux versions, deux imageries
standardisées, qui font couple comme un duo d’opéra : Disneyland et Las Vegas ? D’un côté, le
monde de l’enfant imaginé comme un adulte miniaturisé, de l’autre, le monde de l’adulte imaginé
en enfant éternisé. Nous sommes entrés, sans nous en apercevoir, dans une véritable idolâtrie de
l’enfant, dans « l’infantolâtrie », dans l’infantilisation générale du monde ».
Aussi doux qu’une chèvre cachemire des plaines de Mongolie, ce film montre avec brio un angle
troublant de notre société, dans la juste note pour nous faire balancer entre horreur et désolation.
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