Marche ou crève (the long walk en VO) de Francis Lawrence est la nouvelle adaptation de Stephen King actuellement à l’affiche. Et on peut dire que le pari est réussi : personnages attachants, mise en scène immersive, retournements de situations et morts aussi violentes que choquantes sont au menu de cette longue marche, lente agonie nous emmenant au limites du corps et de l’esprit humain. Évidemment cette critique contiendra de nombreux spoilers sur le film et le livre, vous voilà prévenus !
Synopsis
50 jeunes garçons volontaires se lancent dans une course effrénée. L’objectif : marcher sans s’arrêter au dessus de 5km/h sous peine de mort. Le but : être le dernier à marcher.
Le concept est simple et cruel : à la manière d’un Squid Game ou d’un Hunger Games (du même réalisateur soit dit en passant), regarder un groupe s’affronter chacun pour soi, nouant des amitiés et des alliances vouées à l’échec : car à la fin, il n’en restera qu’un. Ajoutez à cela des morts violentes et graphiques, injustes et poignantes, et vous obtenez un film qui vous tient en haleine du début à la fin.
Le film nous immerge directement dans son univers en s’ouvrant sur la lettre d’admission à la Longue Marche de Raymond Garraty (interprété par Cooper Hoffman), notre protagoniste, suivie d’une rapide discussion avec sa mère. Le film nous propose un univers dystopique, sous dictature militaire, mais relativement simple et peu développé. Une force car en 2 minutes, le film nous expose toutes les bases nécessaires à la compréhension de son monde, et peut ensuite se concentrer sur ce qui fait le cœur et l’âme de son récit : l’amitié de Garraty et Peter McVries (David Jonsson).

Les personnages, la vraie force du récit
Une histoire comme celle-ci se doit d’être portée par des personnages forts et attachants, sans quoi le spectateur ne peut être émotionnellement investi devant ce massacre d’innocents. C’est totalement le cas de Marche ou crève. Tous les personnages se distinguent par des répliques, des caractéristiques et des actes marquants, entraînant inévitablement un pincement au cœur à chacune de leur mort, même pour les moins développés d’entre eux. Entre les cris perçant de Curley, la cheville brisée de Harkness, la détermination d’Olson, et j’en passe, aucun personnage ne laisse indifférent. Même Barkovitch, l’antagoniste secondaire du film, finit par devenir touchant. Le tout est exacerbé par la mise en scène, toujours à leur hauteur, multipliant les plans-séquences lors des dialogues, pour créer un effet de proximité avec le spectateur. On se sent constamment avec eux, en train de marcher à leurs côtés, on vit la marche comme un marcheur. Mais il est vrai que ces personnages sont tous totalement éclipsés par le duo de tête, Garraty et McVries.
De l’aveu de Francis Lawrence lui-même, la relation Garraty/McVries est le film. Comment ces deux inconnus deviennent de plus en plus proches au rythme de la marche et des terribles événements dont ils sont témoins et acteurs. Leur amitié est instantanément forte et touchante, tant entre eux qu’avec les autres membres du groupe des « mousquetaires » Olson et Baker (respectivement Ben Wang et Tut Nyuot). Le tout est sublimé par un fond de romance homosexuelle, supposée par quelques indices notamment sur le personnage de McVries, mais assez subtile pour n’être interprétée que comme une forte amitié.
Un bon moyen de caractériser ces personnages, est d’étudier leurs motivations. En effet, le vainqueur de la course obtiendra l’opportunité de se voir réaliser n’importe quel vœu en plus d’une importante somme d’argent. On apprend au détour d’un dialogue que le père de Garraty, qui enseignait à son fils une idéologie contraire au régime au moyen de livres et d’œuvres d’art prohibés, a refuser de se soumettre et fut exécuté sous les yeux de sa femme et de son fils par le major (interprété par Mark Hamill). Le vœu de Garraty est donc de demander une arme afin de tuer le major de ses propres mains. Il incarne ici un esprit de vengeance, motivé par la haine. Par cet acte suicidaire, il espère rendre le monde meilleur. McVries quant à lui, est un personnage plus positif : après avoir échappé de peu à la mort durant sa jeunesse difficile, il a décidé de croire en la bonté, et de toujours voir le bon en toute chose. Son vœu est de faire en sorte qu’il y ait 2 vainqueurs à la marche, afin qu’il soit possible de gagner avec un ami. Il représente l’optimisme et la foi en l’être humain, toujours prêt à aider au péril de sa vie. Ces deux personnages aux parcours et idéologies très différentes partagent néanmoins un même objectif : faire leur possible pour rendre le monde meilleur.
Explication de la fin
Comme il fallait s’y attendre, les finalistes sont bien évidemment notre duo préféré. C’est à ce moment que le film s’écarte du roman pour nous proposer une fin toute autre. Dans le livre de King, McVries termine 3ème de la course en s’asseyant avec dignité. Garraty est donc finaliste avec Stebbins, qu’on découvre être le fils du commandant (point commun au deux œuvres). Stebbins finit par tomber, raide mort de fatigue, et Garraty est sacré vainqueur. Mais, refusant la mort de ses amis, et attiré par une silhouette noire dans la lumière, il reprend sa marche, trouvant même la force de courir. Car, brisé par ces événements, sa Longue Marche ne s’arrêtera jamais.

Cette idée est également présente à la fin du film, mais pour McVries, non Garraty. En effet, c’est ici Stebbins qui finit 3ème, propulsant les deux amis en finale. Ils sont accueillis par une immense foule venus les acclamer et voir qui sera sacré champion. A bout de forces, et voulant sauver son ami, McVries s’arrête et pose le genou à terre, prêt à mourir. Mais Garraty intervient et le relève, le poussant à marcher à ses côtés. C’est Garraty qui, dans un élan de bonté, se sacrifie pour sauver McVries. Ce dernier, sacré champion et brisé, utilise son vœu pour se saisir d’une arme et tuer le major, responsable de toutes ces atrocités. Seul (la foule et les soldats ayant métaphoriquement disparu), il repart sur la route continuer sa marche infinie.
Ce retournement de situation est très fort : en plus de surprendre les fans du livre, il surprend aussi les spectateurs habitués aux standards du cinéma «c’est le protagoniste qui va gagner». Le sacrifice de Garraty vient sceller l’amitié et l’évolution des deux personnages : dans cette fin, leurs rôles se sont inversés : c’est Garraty qui devient porteur d’espoir et McVries de vengeance. En tuant le colonel, Peter rend ainsi hommage à son ami mais renie ses valeurs morales. Il est déchirant de voir un personnage si pur et bon être brisé au point de commettre ce qui était pour lui intolérable.
La Longue Marche : métaphore de la guerre ?
Marche ou crève est le premier livre écrit par Stephen King en 1966, alors âgé de 19 ans, en plein cœur de la guerre du Vietnam. Et il faut dire que cette histoire y comporte beaucoup de parallèles : de jeunes garçons s’engagent dans une mission suicide sous la supervision d’un major mystérieux, avec de belles promesses à la clé. Tous sont trop insouciants pour se rendre compte de l’horreur et la mort qui les attend, et les rares survivants seront traumatisés à vie par cette expérience. L’acte de fin de McVries à la fin du film est pour moi lié à cette métaphore : comment les horreurs qu’une personne subit peut altérer à jamais sa personnalité, et transformer le plus doux des agneaux en loup sanguinaire.
On retrouve de nombreux parallèles à la guerre, notamment du Vietnam dans le film : les médailles numérotée ne sont pas sans rappeler les médailles des soldats américains envoyés au front, et certains personnages reproduisent des stéréotypes de jeunes soldats de l’époque : certains ont mentis sur leur conditions physiques pour participer, comme celui qui meurt d’une crise d’épilepsie, ou sur leur âge comme Curley qui n’est clairement pas majeur. Le film montre cet engagement aveugle des jeunes, qui sont tous volontaires pour s’engager dans ces horreurs sans réellement avoir conscience de ce qui les attend au bout du chemin.

Bon film, mais bonne adaptation ?
Question épineuse que celle-ci. Pour moi, l’esprit et le message du livre sont parfaitement respectés. Les grandes étapes du récit également, ainsi que les personnages. On peut éventuellement regretter que certains rôles aient été amoindris, comme Stebbins, Olson et Baker, mais ce choix est justifié pour garder l’attention sur Garraty et McVries. Le changement de la fin est pour moi un très bon choix, de par la surprise qu’elle procure et le message supplémentaire qu’elle délivre, tout en gardant l’esprit et les dernières lignes du roman sur le traumatisme. Les choix par exemple de réduire le nombre de participants de 100 à 50 ou de changer la mort de certains personnages, permet de rendre le film moins long et répétitif (même si certaines ellipses sont un peu trop rapides, après 3 morts à l’écran ils ne sont déjà plus que 18 par exemple). Le choix d’enlever quasiment toutes les scènes de flashback permet de nous laisser constamment dans l’immersion de la marche, et celle subsistante est justifiée pour le clin d’œil de la réplique du major en tuant les Garraty père et fils (même si le film aurait pu s’en passer). Du bon travail d’adaptation de la part du scénariste J. T. Mollner.
En bref, Marche ou crève est un film et une adaptation réussie, pas au niveau d’un Shining ou de la Ligne Verte mais néanmoins parmi les meilleures du maître de l’horreur. Le film est haletant de bout en bout, juste gore et choquant ce qu’il faut pour maintenir une tension à chaque scènes d’exécution, avec une mise en scène soignée et immersive et des personnages marquants et attachants. Un terrible voyage dans la psyché humaine qui ne laissera personne indifférent.