Ceux qui apprécient la lecture des mangas ont souvent le souvenir d’une émotion personelle forte provoquée par les dessins et la mise en scène. Pour ma part, les dessins de Katsuhiro Otomo, auteur d’Akira m’ont plongé dans des courses de motos où la sensation de vitesse était palpable; j’ai aussi ressenti le désespoir dans Neon Genesis Evangelion lorsque Shinji Ikari écrasa le 5ème enfant. Say hello to Black Jack est, quant à lui, un de ces mangas rares qui nous permet de dépasser le plaisir de la lecture et des émotions en initiant un début de réflexion sur une question de société : la médecine et le malade.
Syuho Sato raconte l’histoire d’un jeune interne venant de réussir ses examens d’entrée dans un prestigieux hôpital publique. Loin du héros de Osamu Tezuka, docteur Black Jack dont on peut supposer la référence, le docteur Saitô, inexpérimenté, va découvrir l’univers de la médecine et se forger sa propre idée du médecin. Doué d’une grande humanité, il va se battre contre les éléments pour faire avancer les choses, s’attirant par là-même les critiques et les reproches de ses pairs.
Saitô va vite se rendre compte que le monde qu’il s’était imaginé ne concorde pas avec la réalité : il n’y a pas assez de thérapeutes pour les patients car il y a trop d’hôpitaux sur le territoire, les médecins chirurgiens ne pratiquent pas suffisamment, ou bien certains médicaments ne sont pas autorisés parce qu’ils ne sont pas produits par des entreprises japonaises. La force de Syuho Sato est de ne pas nous livrer ces informations telles quelles, mais de les accompagner de statistiques et de références. Le manga a semble-t-il fait du bruit au Japon et je suppose qu’une partie du récit est proche de la réalité.
Au cours des 13 volumes que comporte cette série, le Dr Saitô va traverser de nombreux corps de métier : urgences, néo-natalité, cancérologie et psychiatrie. Dans chacun, Syuho Sato met son personnage dans une situation complexe où les relations humaines prédominent souvent sur les questions de médecine. Ce sont les deux derniers services qui poussent le plus loin la réflexion et font de Say hello to Black Jack une grande œuvre. Dans les chroniques de cancérologie, Saitô se heurte réellement à l’impuissance de la médecine fasse à la mort. Ces pages sont dures à lire du fait de l’intensité dramatique et les questions soulevées sont nombreuses. Doit-on donner de l’espoir à ses malades? Où s’arrête le travail du médecin? Doit-on informer le patient de sa mort prochaine? C’est aussi ici une manière de comprendre la culture nippone et de connaître la réflexion des japonais sur ces questions.
La psychiatrie est le point d’orgue de cette histoire. Saitô a la charge d’un patient atteint de schizophrénie. Dans ces pages le lecteur est vivement impliqué dans le réflexion sur la place des handicapés mentaux dans nos sociétés, sur le regard qu’on leur porte et sur l’incompréhension qu’ils suscitent. Loin de s’autoriser à donner une ligne de conduite à suivre, l’auteur essaie d’expliquer et de comprendre les réactions et les sentiments des personnes.
En réalité, Say hello to Black Jack n’est pas une œuvre ouverte à tout le monde. Il faudra s’armer de courage pour traverser les services hospitaliers. Mais le jeu en vaut la chandelle, grâce aux idées que laisse derrière elle la lecture de cette série. Les plus jeunes désireux d’aborder ce thème se tourneront d’ailleurs vers Team Medical Dragon, dont le traitement est moins choquants et les dessins plus modernes. Certains pourraient en effet être rebuté par le graphisme de Say hello to Black Jack plutôt pauvre à mon go