Analyse de l’épisode Eulogy (Eulogie) de Black Mirror
Synopsis de l’épisode Eulogy (Eulogie)
« Eulogie » nous offre un des épisodes les plus émotionnels la série avec Paul Giamatti dans le rôle de Phillip Conarthy, un homme solitaire et renfrogné vivant dans une maison héritée de ses parents sur Cape Cod. Sa solitude est brisée par un appel l’informant de la mort de Carol Royce (anciennement Hartman), son grand amour de jeunesse qu’il n’a pas vu depuis des décennies.
L’entreprise Eulogy lui propose de contribuer au mémorial de Carol en partageant ses souvenirs grâce à une technologie révolutionnaire qui permet de « pénétrer littéralement dans les photographies » pour revivre le passé. Accompagné d’un guide virtuel (Patsy Ferran), Phillip explore ses vieilles Polaroid pour reconstituer leur histoire d’amour des années 1990, quand ils vivaient ensemble dans une coopérative artistique de Brooklyn appelée « The Coop ».
Mais cette plongée dans le passé révèle progressivement que Phillip a délibérément détruit tous les visages de Carol sur les photos, griffant et défigurant son image dans un accès de rage post-rupture. L’épisode explore avec une rare délicatesse les mécanismes de la mémoire sélective et de l’auto-apitoiement masculin.
Présentation de la fin de l’épisode

La révélation finale d' »Eulogie » bouleverse complètement notre perception de l’histoire. Le guide virtuel se révèle être Kelly Royce (Patsy Ferran), la fille de Carol, créée sous forme de « cookie » numérique pour aider à reconstituer les souvenirs de sa mère décédée.
Kelly révèle à Phillip que Carol était enceinte quand il lui a fait sa demande en mariage catastrophique à Londres, mais que l’enfant n’était pas de lui. Carol avait eu une aventure d’un soir en représailles à l’infidélité de Phillip avec sa collègue Emma. Dans sa colère après le refus de Carol, Phillip avait saccagé sa chambre d’hôtel et détruit une lettre cruciale de Carol.
L’épisode culmine quand Phillip découvre un appareil photo jetable oublié et trouve enfin cette fameuse lettre. Carol y avouait sa propre infidélité, sa grossesse, mais surtout son amour intact pour Phillip et son désir de recommencer ensemble. Une réconciliation que Phillip n’avait jamais su possible parce qu’il avait classé la lettre sans la lire.
Analyse de la fin de Eulogy (Eulogie)
« Eulogie » présente une nouvelle face de l’usage de la technologie. Ici, elle ne sert pas à révéler l’horreur de la condition humaine, mais à cicatriser les blessures du passé et permettre un authentique processus de deuil.
L’épisode fonctionne comme une critique féroce de la misogynie ordinaire et de l’auto-victimisation masculine. Pendant des décennies, Phillip s’est construit un récit où Carol était la méchante qui l’avait quitté et trahi. La confrontation avec Kelly l’oblige à revisiter ses propres responsabilités : son infidélité, sa possessivité, son incapacité à voir les signes de détresse de Carol.
Cette approche résonne particulièrement aujourd’hui où les récits toxiques sur les relations amoureuses prolifèrent sur les réseaux sociaux. « Eulogie » nous montre comment nos biais de confirmation peuvent nous enfermer dans des versions déformées du passé, nous empêchant de grandir et de guérir.
L’utilisation de la technologie Eulogy comme outil thérapeutique marque une évolution fascinante dans l’univers Black Mirror. Cette IA ne manipule pas, ne trompe pas, ne corrompt pas : elle guide avec bienveillance vers la vérité, même douloureuse. Kelly devient une thérapeute numérique qui aide Phillip à accepter sa part de responsabilité.
Il y a quelque chose de profondément touchant dans cette réconciliation posthume. Phillip ne peut plus réparer ses erreurs avec Carol, mais il peut enfin voir son visage sans colère, se souvenir d’elle avec amour plutôt qu’avec amertume. Cette catharsis technologique transforme le deuil en processus de guérison plutôt qu’en torture.

L’épisode interroge aussi notre rapport aux traces numériques que nous laissons. Dans un monde où nos photos sont stockées dans le cloud, où nos messages persistent, où nos relations laissent des archives, « Eulogie » explore le potentiel rédempteur de cette mémoire digitale.
La performance de Paul Giamatti (exceptionnelle, comme à l’accoutumée) transcende le cadre habituel de Black Mirror. Son Phillip n’est ni héros ni villain, juste un homme imparfait qui vieillit avec ses regrets. Cette humanité complexe, sans manichéisme, élève l’épisode au niveau des plus grandes œuvres sur le deuil et la réconciliation.
La scène finale, où Phillip retrouve enfin le visage radieux de Carol en l’écoutant jouer du violoncelle, puis assiste aux funérailles où Kelly joue le même morceau, fonctionne comme une boucle temporelle apaisée. Le passé et le présent se rejoignent dans un moment de grâce pure.
« Eulogie » prouve que Black Mirror peut faire pleurer de beauté plutôt que de désespoir. L’épisode nous rappelle que derrière toutes nos peurs technologiques, il y a d’abord des êtres humains qui cherchent à comprendre et à pardonner. Dans un monde de plus en plus dur, cette leçon d’humanité résonne comme un baume nécessaire.
Cette approche rédemptrice de la technologie ouvre de nouvelles perspectives narratives pour la série. Si l’IA peut nous aider à faire notre deuil, à accepter nos erreurs, à grandir émotionnellement, alors peut-être que l’avenir technologique n’est pas forcément dystopique. Une lueur d’espoir bienvenue dans l’univers généralement sombre de Charlie Brooker.
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