Le silence, et sa fin expliquée
Ce fameux silence, Scorsese a décidé de le matérialiser à travers l’esprit d’un seul des deux prêtres: Rodriguez. A un moment du film, les prêtres se séparent pour accomplir chacun de leur côté leur mission. Au lieu de passer d’une épopée à une autre en alternant respectivement sur les deux prêtres, Scorsese décide de garder un focus entier sur Rodriguez. De fait, nous assistons à tous ses états d’âme, mais aussi et surtout, à son évolution psychologique et même mentale. Ce n’est pas nécessairement la folie qui est traitée mais la solitude, or les deux sont la plupart du temps indissociable. Rodriguez se met, non plus à prier, au fil du film mais se permet des monologues et des réflexions à l’encontre de son idéologie première : si Dieu ne répond pas à mes prières, c’est qu’il n’est peut être pas là. Ce silence, lourd, pesant n’est pas fait pour être rompu.
Nous n’attendons jamais une intervention divine qui réglerait toute la situation car nous savons. Ce n’est pas le propos, ni le but de Scorsese. Ce qu’il fait, c’est qu’il invite et même force ses personnages à penser par eux-mêmes. Il les place au cœur d’une situation difficile, lente, longue et froide et il leur dit: « débrouille toi tout seul, n’attend pas d’être sauvé ». Ce qui est difficile à concevoir pour ces prêtre qui ne connaissaient pas réellement la difficulté avant de venir au Japon. Tout ce processus est une invitation à prendre conscience de soi, avant de vénérer la conscience de l’Autre, tout puissant, mais incertain.
Scorsese, tout au long du film, nous montre le caractère prétentieux de Rodriguez, et ceci malgré son statut d’homme de foi. L’une des scènes les plus significatives à ce sujet, se déroule lorsque Kichijiro trouve un point d’eau pour que Rodriguez puisse enfin se désaltérer après une longue marche. Celui-ci ne se contente pas uniquement de boire l’eau de la rivière mais y voit des hallucinations suscitant réellement le doute quant à ses intentions « pieuses ». Il voit, dans son reflet, le visage de Jésus et les deux visages se confondent pendant une bonne partie du plan. Que déduire de cette vision prétentieuse de lui-même ?
A t-il réellement l’intention de prêcher la bonne parole et d’aider ses prochains, ou en est-il arrivé au point où il salive de cette puissance et de ce pouvoir de reconnaissance que les habitants lui ont accordé ? Peut être est-ce une manière de répondre à ce silence, en forgeant ses propres réponses. On le pousse à réfléchir alors son inconscient, qui ne connait autre chose que Dieu et Jésus, lui répond. A sa manière, Rodriguez trouve une réponse à son propre silence.
Durant tout le film, nous assistons de manière frustrante, à l’abandon (ou à la quasi inexistence ?) de cette conscience supérieure à laquelle aspire tant Rodriguez (et tous les autres Jésuites). Seulement, rien. Aucun signe de vie, aucun clin d’œil sur la possibilité d’une entité supérieure, et ce malgré une foi inébranlable. Ce n’est qu’au moment où Rodriguez doit marcher sur la gravure de Jésus qu’il entend cette voix douce, calme et qui l’invite, sans gêne, à lui marcher dessus. Aussi, un chapitre important se clôture par cette scène forte: le lâcher prise, enfin ! L’abandon de cette voix inexistante qui lui susurrait tout au long du film qu’il ne pouvait pas. Peut être, cette voix est-elle devenue le fruit de ses folies mais elle lui aura permis de rester en vie.
Un final porteur de questionnements
A la fin du film, Ferreira (Liam Neeson) retrouve enfin Rodriguez. La confrontation tant attendue a lieu avec la présence de deux autres japonais: l’escorte de Ferreira et le traducteur/conseiller de l’inquisiteur Inoue. Cette confrontation est, quelque peu, déroutante pour plusieurs raisons.
L’une d’entre elle a été le fait que les deux prêtres ne sont pas seuls, ce qui crée et amplifie une forme de retenue chez Ferreira que Rodriguez, clairement, ne comprend pas. Les mots sont lourds de sens et pesés à la perfection. L’une des choses qui m’a étonné, c’est que lorsque Rodriguez demande à Ferreira s’il a bien renoncé à la foi chrétienne et à Jésus, Ferreira se contente de répondre: “C’est ce que j’ai dit”.
Ce “ce que j’ai dit” est pesant pour Ferreira au point qu’il ne souhaite pas même répéter un serment qui, aujourd’hui (1641), n’est plus supposé l’affecter. Ferreira a du mal s’exprimer lors de cette confrontation. Ses arguments ne sont pas fiables. Il lui explique que l’inquisiteur l’a “encouragé”à écrire un livre contre la religion chrétienne dont il a choisi chaque mot avec une extrême précaution. Ferreira est piégé, nous le sentons, et pourtant Rodriguez ne le voit pas. Trop aveuglé par son amour pour la chrétienté et son incompréhension face à un Ferreira complètement (?) japonisé.
La scène finale de Silence est emblématique de tout le questionnement du réalisateur. Rodriguez, après avoir “succombé” au mode de vie et aux croyances bouddhistes, a vécu une vie nippone. Suivant le même schéma que Ferreira, il a épousé une japonaise et a embrassé la culture de ses précédents bourreaux- qui le sont peut être encore, mais sous une autre forme, soit dit-en passant. Il passe ainsi le reste de sa vie à louer la culture et le mode de vie japonais, tout en faisant attention à bannir toute autre forme de religion (notamment la sienne). Lorsque le Kichijiro de la dernière scène lui fait face et lui demande, pour la dernière fois, d’entendre sa confession. S’en est trop, il ne peut pas. Mais il y a une chose étonnante que Rodriguez dit à Kichijiro avant qu’il ne s’en aille: « Merci d’être là, de toujours avoir été là ». Cette simple phrase est tellement révélatrice de toute la solitude et de l’indifférence qu’a subi Rodriguez à l’égard de « son » dieu, que Scorsese nous dit simplement d’être présent les uns pour les autres avant toute chose.
Malgré ces quelques interrogations quasi élucidées, il en subsiste une encore forte, qui se situe à la toute dernière scène du film; celle de l’incinération de Rodriguez. Celui qui, pendant des années entières réussit à se passer de toute trace de sa chrétienté porte, dans son cercueil, une croix de Jésus. Qu’en déduire ? Depuis ce moment où il a marché sur la gravure, a-t-il vécu une vie d’hypocrite total ? (Nous en revenons à la première signification du mot Jésuite) Dans ce cas, il aura accompli sa mission divine jusqu’au bout en ayant respecté ses dogmes de la manière la plus véridique pour lui.
Nous n’avons pas réellement de réponse quant aux véritables croyances de Rodriguez, ni de Ferreira d’ailleurs. Mais, ce pas tant le propos de Scorsese finalement qui nous invite davantage à prendre conscience de nous-mêmes avant de suivre aveuglément une doctrine ou des croyances jugées « universelles ».
Silence, ou cette réflexion universelle sur ses croyances personnelles et collectives.
Peut-être votre critique manque-t-elle de recul et de connaissance du christianisme ? Je vous invite à vous renseigner sur les faits réels qui ont inspiré cette histoire, et la diffusion du christianisme par les Jésuite dans l’ensemble du Japon à cette époque illustrée par le film. Ca permet de comprendre pas mal de choses. Loin d’être une critique, le film interpelle justement sur une question que vous pointez du doigt : « Les autochtones japonais chrétiens […] sont prêts à mourir/se sacrifier pour cela. Pourquoi ? » Ce n’est pas de l’aveuglement, c’est une tout autre conception du monde et de la vie.
Votre analyse n est pas tres chretienne 🙂 Moi j y vois un hymne a la foi. Rodriguez comme tous les chretiens n a jamajs ete seul, car le Christ, son amour, son message on/sont toujours lá. Sa foi pure est de toute beauté. Mais Le talent de Scorsese est surement de laisser la place aux deux interpretations.