En matant ce film, j’ai remarqué que mon lecteur DVD souffrait d’une arythmie chronique. En effet, si l’on observe consciencieusement le déroulement des chiffres lumineux censés indiquer le minutage, on constate que toutes les deux secondes normales, on a une seconde trop courte. Le docteur impuissant m’a conseillé de voir le bon côté des choses : si je passe mon temps à regarder des films sur ce lecteur, une seconde sur trois valant une demie seconde, j’allongerais considérablement mon espérance de vie. Ça a l’air de rien comme ça, a-t-il ajouté, mais je vous rappelle que tous les ans Bernadette Chirac sauve le monde avec une pièce rouge + une piège rouge + une piège rouge. Quoi qu’il en soit, je suis heureux d’avoir découvert le handicap de ma machine pendant le visionnage de Coup de chaud de Raphaël Jacoulot. Avec ces villageois qui s’acharnent sur un débile, on m’a d’emblée incité à la tolérance.
Synopsis
Au cœur d’un été caniculaire, dans un petit village à la tranquillité apparente, le quotidien des habitants est perturbé par Josef Bousou. Idiot du patelin, il est désigné par les villageois comme étant la source principale de tous leurs maux. Peu à peu la situation s’envenime.
Critique
Il est curieux de voir surgir encore si régulièrement des fictions campagnardes quand on sait que la campagne, dans le réel, si l’on en croit les derniers documentaires de Depardon, devient de plus en plus un territoire d’anti-fiction absolue. Terminée l’époque où quelque chose comme un événement pouvait y survenir. Il faut donc se creuser la tête pour constituer le fameux élément perturbateur nécessaire à toute histoire traditionnelle. Pourtant on persiste. On peut y voir une preuve de paresse, de “on va continuer à faire comme avant puisque ça plaît aux vieilles.” C’est un peu court. D’aucuns brandiraient l’argument du “film social” – aujourd’hui, en France, si on veut se faire financer il faut filmer des pauvres, or des pauvres à la cambrousse c’est pas ce qui manque. Ça fonctionne mal pour Coup de chaud. Il faut distinguer les films disons sociologiques / naturalistes des films qui prennent pour décor un milieu social bas. Prenons l’année 2013 de Léa Seydoux. On la reluqua dans La Vie d’Adèle puis dans Grand Central. Le spectateur peu avide de rigueur a rangé les deux œuvres dans la même catégorie. Mais en réalité la première questionne constamment la divergence sociale du couple tandis que la seconde utilise la centrale nucléaire et ses ouvriers métaphoriquement pour produire du discours amoureux – on aurait pu changer le métier voire la classe sociale des héros de Grand Central que ça n’aurait pas changé grand-chose au fond. Simplement le nucléaire c’est un cadre plus charismatique, d’abord on peut faire des effets flashy marrants comme dans un film de sous-marin, et puis surtout ça fait un danger latent ça crée de la densité thématique tout seul. Coup de chaud utilise la campagne de la même façon.
Est-ce un reproche que j’adresse au film ? Pour l’instant c’est un constat. Raphaël Jacoulot a l’ambition – pourquoi pas ? – de proposer un récit classique, avec tout ce que ça implique en terme de structure, et ça fonctionne dans une certaine mesure : il a le sens du rythme, le film se cale sur une lenteur quotidienne qui fait au départ un peu goûter la vie au village, et il est aidé par un acteur principal, Karim Leklou, très juste en zinzin gentil-sauvage (son morceau de bravoure, une phase de danse dans les champs sur de la techno pourrave, est le plus beau moment du film). Malheureusement, à cause de cette même structure, le sens est clos. Et, pire, le sens est pauvre. Tel que fabriqué, Coup de chaud est un film de monstre – on pense maintes fois à Frankenstein, Elephant Man, Notre Dame de Paris – où sans cesse la bête est excusée pour condamner l’horrible civilisation qui la mène au crime. Si Josef viole et frappe, c’est qu’on l’y a poussé. Il est toujours déjà purifié d’avance. Insoupçonnable de sadisme. Certes Jacoulot fait des efforts pour qu’en accord avec la punchline de Renoir “tout le monde ait ses raisons” mais y en a quand même qui ont beaucoup plus de raisons que les autres. Dans ses moments les plus didactiques, les malveillants diront que Coup de chaud, avec son pauvre type qui malgré lui devient épicentre de toutes les tensions d’une communauté, est un film-dossier de l’écran pour débat anthropologique sur la notion de bouc-émissaire. Les bienveillants vous conseilleront au contraire, si a priori vous aimez ce genre d’histoires, de vous procurer l’édition DVD, pas crevarde en bonus, eu égard à l’envergure du film.