Pedro Almodóvar nous annonce, dès le générique, la couleur du film. Le jeu avec les lettres des noms des acteurs et le saut des couleurs jaune/rouge pétants renvoie, sans aucun doute, au style que nous lui connaissons déjà.
Synopsis
Julieta n’a pas revu sa fille, Antía, depuis maintenant douze ans. Lorsqu’elle décide de quitter Madrid pour laisser derrière elle un passé trop douloureux, elle fait la rencontre fortuite de Béa, une très bonne amie d’enfance de Antía. Celle-ci lui admet avoir revu sa fille quelques jours plus tôt. Les plans de Julieta sont complètement bousculés et elle décide finalement de rester à Madrid et de relouer l’appartement dans lequel elle vivait avec sa fille enfant. De cet appartement, Julieta commence l’écriture d’une longue lettre: une lettre qui explique à sa fille tous les non-dits, la culpabilité qui la ronge depuis tant d’années, les incertitudes, sa vie.
Critique
Pourtant, quelque chose de différent émane de ce dernier film. Nous sentons, par le style et tous les clins d’œil, qu’il s’agit bien d’un ‘Almodóvar’ mais la manière d’aborder intrigue et personnages s’inspire d’ailleurs.
Julieta, dotée de lunettes de soleil faisant constamment référence au deuil, porte la carrure d’une héroïne hitchcockienne mais s’accable de tous les maux d’un personnage de tragédie grecque. Ce n’est pas anodin qu’elle soit professeure de lettres classiques.
Almodóvar s’octroie une mise en abîme significative durant la scène où Ava, sculptrice et amie de Julieta, modèle sa nouvelle statuette en argile qui représente un homme. Pendant que celle-ci ponce les formes du modèle, Julieta lui raconte la création de l’homme dans la mythologie grecque. Elle lui dit que lorsque les dieux donnèrent aux oiseaux des ailes pour pouvoir voler, ou aux poissons des nageoires pour pouvoir nager, il ne restait plus d’attributs intéressants pour la création de l’homme. Alors, il le créa « nu », vulnérable, sans attributs. Cette scène est vraiment significative du film, mais aussi de tout le cinéma d’Almódovar, car encore une fois, il donne à la femme un pouvoir absolu. Pendant que Julieta conte cette histoire, c’est Eva qui sculpte et qui crée « l’homme ».
Tandis que le cinéaste nous avait habitué à brosser des caractères de femmes fortes, il nous dévoile, ici, avec pudeur, le portrait d’une toute autre femme. Non pas celle qui est victime d’un homme, ou d’abus quels qu’ils soient, mais qui est victime d’elle même et de son conditionnement de femme. Et pour être même plus claire, de son conditionnement de mère. Julieta est dépeinte comme forte au début du film, parce qu’elle est mystérieuse, et parce qu’elle renie son statut de mère. C’est au fil du film que nous découvrons son histoire, ses peines, sa sensibilité et, de ce fait, son humanité.
Elle est interprétée par deux actrices différentes, choix osé et même quelque peu risqué, surtout lorsque l’on pressent la complexité du personnage. Adriana Ugarte incarne Julieta de 25 à 30 ans, tandis que Emma Suárez l’incarne à partir de 40 ans. Et il est absolument fascinant de constater à quel point les deux actrices se ressemblent et diffèrent à la fois, tout en offrant à Julieta cette complexité et cette complémentarité qui la définissent. Jusqu’à présent inconnues dans de cette belle palette d’actrices qui composent régulièrement la filmographie d’Almódovar (Penélope Cruz, Carmen Maura, Victoria Abril, Marisa Paredes,…), elles y figureront certainement plus souvent, dès à présent.
Le réalisateur continue de nous submerger par un style qui lui est propre. Nous voyons la couleur rouge dès le tout premier plan du film, au travers des battements de cœur de Julieta. Le rouge qui symbolise normalement la passion, l’amour, l’érotisme, est souvent opposé, dans le film, au blanc. Le blanc qui reflète le silence, l’austérité, et surtout le vide. Le vide que sa fille lui a laissé en la quittant et en ne lui donnant aucune explication.
Les scènes du train rappellent certaines ambiances de films hitchcockiens et sont utilisées pour faire le parallèle évident de la vie contre la mort dans un même moment. C’est le suicide d’un passager du train dans lequel Julieta était qui la pousse à s’éprendre du père de Antía. C’est donc la mort qui les a rapproché, et, de ce fait, a donné la vie. La domestique austère et qui s’immisce dans la vie privé des personnages relève, elle aussi, du personnage almodovarien haut en couleurs.
Le cinéma d’Almódovar est toujours autant sophistiqué, travaillé, mais aussi et surtout singulier. Avec Julieta, il a su respecter ses propres règles, tout en nous proposant une nouvelle palette de sa vision des femmes, qui est toujours autant un élément primordial de ses films. Le thème de l’abandon est maître dans ce film. Et, il démontre que ce sont les silences et les réserves qui sont le fruit d’une frustration qui nous ronge si nous ne défaisons pas le voile qui nous accable.
C’est par l’écriture d’une lettre, dont on sait qu’elle ne peut être envoyée, que Julieta s’exonère de tous ses maux. Le film est juste parce que, pour une fois, il ne se range pas complètement et aveuglément du côté de la protagoniste. Lorsque sa fille l’abandonne, nous aurions tendance à nous poser la question du « pourquoi », qui sera cause de frustration tout au long du film. Mais, finalement, cela nous importe peu de savoir. Ce que l’on veut vraiment, c’est de connaître davantage Julieta, qui nous intrigue, tout simplement.
Actuellement en compétition au festival de Cannes, vous pouvez d’ores et déjà découvrir la bande-annonce ci-dessous: