Critique No dormirás de Gustavo Hernandez

no dormiras 2018

Coproduit par l’Espagne, l’Argentine et l’Uruguay, ce faux film de genre nous plonge en pré-générique dans une expérience psychiatrique menée en 1976 sur des patients enfermés dans une cage de verre et privés de sommeil. En 1984, les salles spacieuses de l’hôpital désaffecté sont louées par une compagnie théâtrale d’avant-garde qui prétend garder leurs interprètes éveillés par la peur pour qu’ils gagnent en vulnérabilité et en sensibilité. Au prix évidemment de leur santé mentale et d’hallucinations multiples. Mais quel but secret poursuivent la directrice et ses complices ?

Synopsis intéressant pour film très moins

Malgré un synopsis alléchant en terme de potentialité narrative, le réalisateur échoue complètement à poser les bases indispensables à son histoire. Les événements des années 70 sont présentés sous forme d’une séquence angoissante avec images de chats pendus et bruits de disques enrayés. La cage de verre observée par les témoins est supposée nous ramener à la réalité ; celle d’une expérience éprouvante qui sera reconduite dans le même décor avec d’autres personnages, à savoir deux jeunes femmes, Bianca et Cécilia, qui rivalisent de zèle pour convaincre de leur talent et de leur endurance la blonde Alma (Belen Rueda) dont le comportement autoritaire et inquiétant intimide les fraîches aspirantes.

Cependant, pour rendre vraisemblable un tel projet, il aurait fallu gagner en crédibilité avec quelques explications concernant le dispositif mis en place pour conditionner les comédiennes. Comment ont-elles été recrutées, pourquoi sont-elles là, quelle pièce vont-elles interpréter ? Or, force est de constater que les prémisses sont entièrement négligées au point que nous sommes dans l’ignorance même du traitement médical employé pour provoquer l’insomnie. Et les dialogues hachés, débités convulsivement, résonnent comme des phrases insignifiantes ou vaines. Un vague écrivain barbichu et un jeune désaxé jouent les inutilités masculines. Et rien ne vient donner l’impulsion initiale ou susciter l’intérêt.

no dormiras 2018

Thriller psychologique

Les scénaristes ont probablement cherché à explorer la frontière entre la folie qui aliène et le jeu qui permet normalement le retour à l’identité de départ. De nombreux dramaturges ou cinéastes n’ont pas failli à montrer le danger psychologique que représente, pour un acteur, l’immersion totale dans un rôle parfois dévorant sur le plan identitaire. Pourtant ici, nous n’assistons à aucune répétition proprement dite, à moins que les hallucinations en fassent partie mais, à ce stade, il aurait fallu inscrire ces rêves éveillés dans un espace scénique contraignant propre à la représentation théâtrale, avec unité de temps et de lieu. Faute de ressentir l’attachement aux « planches », Bianca et Cécilia se perdent, et nous avec elles, dans des salles annexes baignées de lumières blafardes.

Gustavo Hernandez déclare avoir voulu réaliser un thriller psychologique avec des touches de terreur. A la fin, nous devinons péniblement que les victimes d’un accident cherchent à revivre en faisant rejouer à d’autres les derniers instants du drame. Bianca et Cécilia seraient les réincarnations d’une mère et de sa fille qui auraient trouvé refuge provisoire dans une baignoire remplie d’eau lors d’un incendie (réel ou imaginaire). Loin d’être un échantillon de « théâtre suicidaire » ou cruel, la pièce choisie serait un journal intime collectif permettant aux malades ou aux victimes de se libérer en possédant les interprètes pendant les répétitions. Malheureusement, ces révélations improbables et forcées n’ont aucun effet rétroactif sur le déroulement des séquences.

En 2014, le réalisateur signait Dios Local dans lequel un groupe de rock enregistre un album basé sur des expériences traumatiques au fond d’une mine abandonnée où une statue concentre les effluves du passé. Ce film confidentiel fut distribué à l’étranger dans les circuits d’art et essai. No Dormiras apparaît comme un remake grand public, au budget confortable, mais ne parvenant pas à s’affranchir  d’un intellectualisme boursouflé. Une scène retient quand même l’attention : la découverte du script écrit en lettres rouges sur les murs mais caché par le papier peint. Hélas, le lien entre enfermement et processus créatif n’est pas davantage travaillé. La beauté d’Eva de Dominici – dont c’est le premier rôle important – et le travail soigné du directeur de la photo et du décorateur ne suffisent pas à pallier le confusionnisme et la pesanteur de l’ensemble. Il nous reste à imaginer ce que des créateurs de formes comme Jésus Franco ou Raoul Ruiz auraient pu tirer d’un pareil sujet.

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