Sous l’oeil de Bouddha (1923) dans le cycle « Exotiques » à la fondation Jérôme Seydoux-Pathé
La profession du réalisateur A. Joyeux est artiste peintre, et cela se ressent sur la composition des plans, toujours assez statiques malgré le soin apporté aux décors et aux accessoires. Nous sommes loin de la trépidation du serial à la Feuillade, représenté dans ce cycle « Exotiques » par Ti-Minh (1919). Pourtant, la maladresse de l’ensemble n’est pas gênante au point de rompre un certain charme qui va au-delà de l’exotisme colonial pour gagner la valeur intemporelle du conte.
Le texte du carton d’introduction est édifiant :
« Le drame asiatique que nous présentons ici a pour but de faire connaître les mœurs, les coutumes, la vie des races annamites et cambodgiennes qui guerroyèrent entre elles pendant des siècles et vivent maintenant dans le calme d’une paix laborieuse sous la haute protection de la France, mère des peuples. Pour que la documentation soit encore plus précise et plus sincère, en plus des costumes, des armes, des meubles, des habitations qui sont rigoureusement conformes à la réalité, nous avons voulu que les interprètes fussent de race annamite et cambodgienne, depuis le héros principal jusqu’au dernier figurant. Quelle que soit la violence des passions qui animent nos personnages, ils les dissimulent sous l’impassibilité du visage et les marques de la politesse la plus raffinée. En amour, l’annamite ignore le baiser ».
Le film s’ouvre sur la vie quotidienne d’un village annamite. « Poésie, poésie, art divin et je ne suis qu’un modeste artisan » proclame Ly en levant les bras au ciel. Quittant sa famille pour suivre une troupe de théâtre itinérant, on ne voit rien de sa vie avec les comédiens. A son retour, quelques années plus tard, il fréquente la fille du préfet qui lui remet symboliquement son épingle à cheveux. Dénoncé par le jardinier, il est arrêté et envoyé en exil à travers la forêt. Épuisé, il est recueilli par un chasseur d’éléphants au service de l’empereur d’Annam. Le chasseur lui propose d’aller délivrer le général Qué, prisonnier du roi cambodgien Sisophong. Tandis que Ly s’introduit dans le harem du roi, Qué parvient à s’enfuir et, avec son armée, s’empare du fils du roi. La vie de l’enfant est monnayée contre celle de Ly, qui échappe in-extremis à la décapitation. L’empereur nomme Ly mandarin et ce dernier peut épouser la fille du préfet.
La beauté des images, l’authenticité des costumes, des lieux, des monuments, ne peuvent masquer le défaut principal : les acteurs indigènes, tous débutants, sont complètement inexpressifs. Ils se contentent d’accomplir certains gestes qui peuvent alors sembler mécaniques mais qui, paradoxalement, deviennent les mouvements archétypes d’un récit à rebondissements où les surprises sont désamorcées par le hiératisme de la mise en scène. C’est du cinéma amateur qui évoque les mythes universels. Cet arrière-plan traditionnel, non pollué par Hollywood, évite à ce film très rare, inconnu du Chirat, tous les pièges du discours colonial comme ils apparaissent dans l’ excellent The Red Lantern (1919), présenté aussi dans ce cycle. Sous l’oeil de Bouddha (1923) n’est pas située précisément dans l’Histoire mais nous ramène des siècles en arrière. Pourtant, l’un des figurants porte des lunettes.
On ne manquera pas d’assister à la projection du feuilleton Tao (1923), en dix épisodes, cinéroman adapté d’Arnould Galopin, déjà présenté à Pordenone mais inédit à Paris.
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