Explication du film Eddington

Il y a des films qui vous prennent par la main, d’autres qui vous prennent aux tripes, et puis il y a les films d’Ari Aster, qui préfèrent vous prendre à rebrousse-poil. Depuis ses débuts, le cinéaste américain s’est taillé une place de choix dans le paysage du cinéma contemporain avec des œuvres viscérales, bizarres, inconfortables, souvent drôles, parfois brillantes. Avec Eddington, son quatrième long-métrage, Ari Aster nous offre sans doute son film le plus ouvert, le plus accessible… mais paradoxalement, aussi son moins abouti.

Synopsis

Mai 2020 à Eddington, petite ville du Nouveau Mexique, la confrontation entre le shérif et le maire met le feu aux poudres en montant les habitants les uns contre les autres.

Un cinéaste audacieux, mais inégal

Depuis Hérédité, Ari Aster est considéré comme l’un des fers de lance du nouveau cinéma de genre américain, que l’on appelle également « Elevated Horreur », aux côtés de cinéastes intéressants comme Jordan Peele ou encore Robert Eggers. Un cinéaste avec une vision forte, qui n’a pas peur de provoquer le malaise, de déranger, de bousculer les attentes du spectateur.

Une approche sans retenue, au risque de laisser bon nombre de spectateurs sur le côté. Hérédité, malgré ses critiques élogieuses, m’a laissé perplexe. En revanche, Midsommar m’a profondément marqué et Beau is Afraid, est une expérience des expériences de cinéma les plus marquantes que j’ai pu vivre ces dernières années, malgré certains défauts : une première heure magistrale, inventive, tendue… suivie d’un effilochage progressif, comme si le film s’écroulait sous son propre poids.

Ses courts-métrages, visibles sur internet, eux aussi, sont fascinants. Étranges, grinçants, plus compacts — et c’est peut-être là que réside une partie du problème avec Eddington. Les films d’Ari Aster ont un rythme lent, particulier, même lors des passages les plus intenses. Sauf qu’ici, cela pose problème…

L’idée de départ est intrigante, le ton oscille habilement entre l’absurde et la satire sociale. La mise en scène reste soignée même si elle est beaucoup plus sage que d’habitude. Le casting est impeccable, avec une direction d’acteurs impeccable. Il y a même, par moments, des situations ou des idées vraiment drôles. Mais au bout d’une heure, on se surprend à regarder sa montre. Là où Beau is Afraid assumait pleinement son chaos mental pour mieux illustrer l’effondrement d’un homme, Eddington semble simplement tourner en rond. Le film enchaîne sans réelle montée dramatique. L’intrigue stagne, les enjeux se diluent, le propos devient de plus en plus opaque — ou pire, répétitif.

Explication de la fin du film

Ari Aster clôt son Eddington sur une image glaçante : Joe Cross, le shérif devenu maire malgré ses crimes, est désormais **parfaitement paralysé **, réduit à un rôle de marionnette officiant au grand dévoilement du centre de données SolidGoldMagikarp, symbole de la nouvelle ère technologique. Il ne parle plus, il ne décide plus, c’est sa belle-mère, Dawn, qui tire les ficelles politiques pendant que les vraies élites tirent les fils financiers et médiatiques.

L’identité des attaquants, l’incident final violent : tout resté intentionnellement ambigu. Ari Aster joue la carte d’une fin comme test projectif, invitant le spectateur à projeter ses propres peurs et interprétations — une “tache de Rorschach visuelle” qui questionne le prisme idéologique de chacun.

Le centre de données SolidGoldMagikarp, proposé comme projet de développement à la fin du film, représente davantage qu’un simple décor futuriste : c’est le symbole du gigantesque pouvoir algorithmique, un avatar des systèmes de contrôle et de collecte de données omniscientes. Ce dispositif l’emporte sur le chaos humain, rappelant que peu importe les conflits idéologiques, ce sont les machines et les grandes plateformes technologiques qui recueillent les véritables dividendes.

Aster construit son film comme une comédie politique somptueusement absurde, où chaque personnage — de la mère conspiratrice à la vedette populiste en herbe — incarne un des facettes de la désagrégation sociale post-pandémique. Il ne fait pas de favoritisme. Le débutant Clark ou le candidat conservateur Joe, tous sont sous influence, tous se noient dans les discours extrêmes. Et ce ne sont pas deux camps qui s’affrontent vraiment, mais bien chacun contre lui-même — manipulé par les outils numériques, coincé dans sa narration personnelle.

Dans son interview au Time, Aster confirme qu’il a voulu rendre le film volontairement clivant, pas pour prendre parti, mais pour souligner la fragmentation de nos perceptions — ce qu’il appelle l’« omni-partisanisme » : la critique de tous les camps, sans exception.

La fin de Eddington, froide et construite comme un cauchemar silencieux, suggère que le vrai pouvoir aujourd’hui appartient à ceux qui organisent l’information, pas à ceux qui croient la contrôler. Ce n’est pas l’individu ni la politique qui l’emporte, mais l’algorithme. Et Joe Cross, triomphant en apparence, devient un roi de pacotille : présent en titre, absent en substance.

Une comédie noire un peu paresseuse

On sort du film avec un étrange mélange de frustration et de perplexité. Oui, on a ri. Oui, certaines scènes sont brillamment exécutées. Oui, Ari Aster reste un cinéaste singulier qui ne fait jamais tout à fait la même chose que les autres. Mais Eddington laisse malgré tout l’impression d’un film brouillon, presque paresseux, étiré jusqu’à l’épuisement. Là où ses précédents films parvenaient à nous entraîner malgré leur longueur ou leur étrangeté, celui-ci m’a laissé à la porte.

Et c’est dommage. Car en version courte, Eddington aurait pu être une de ces pépites qu’on partage en boucle entre cinéphiles tordus, comme plusieurs de ses courts métrages précédents. Eddington n’est pas un mauvais film, il est supérieur à la plupart des choses qui sont proposées au cinéma cet été. Mais il confirme aussi que ‘son est pour le moment dans une année 2025 bien plus pauvre que l’année 2024. Espérons un deuxième semestre salvateur. C’est mal parti…

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