« Que reste-t-il de nos amours ? » (C. Trenet 🎶)
Qu’est devenu l’amour? Qu’ont-ils fait pour se perdre ? Marianne, qui était pourtant une psychiatre renommée, est devenue aigrie par peur de vieillir, ne veillant plus sur ce qui la rapprochait de son Victor. Quant à Victor, il avait progressivement perdu le goût de vivre avec l’ère du numérique. Entre une femme qui se veut dans le coup et un homme qui est fier de ne plus l’être, La belle époque brosse le portrait d’un couple contemporain dont les différences ne cessent de se creuser. Donnant plusieurs scènes caustiques, typiques de Bedos, ce couple de sexagénaires rappelle comme il est dur de laisser une place à l’autre quand on ne le reconnaît plus. L’âge, l’époque et les événements de la vie apparaissent alors comme des entraves qui se ressentent par un éloignement physique mais aussi par un mépris dans le langage.
C’est par l’oeil de Victor que Nicolas Bedos exprime et met en garde son spectateur face aux progrès technologiques qui séparent les êtres, mais aussi face à la mélancolie. Être nostalgique ne fait que galvaniser les souvenirs heureux et rend le présent plus fade. Ce film est une façon de dire « souviens-toi » et « oublie-moi » simultanément car, si le souvenir fait mieux vivre que l’espoir, c’est aussi lui qui détruit une relation car l’autre ne devient plus que la pâle imitation de ce qu’il était avant. C’est avec une grande justesse que Nicolas Bedos demande « qu’est-ce qu’on aime chez l’autre ? Et jusqu’à quand ? ». Mais aussi « qu’est-ce qu’un amour vieillissant ? Et l’amour est-il vraiment impérissable ? » Entre comédie et tragédie, ce film est le miroir d’une âme tourmentée par l’amour du passé et par le gouffre qu’il creuse avec le temps présent. Victor s’abreuve tant du souvenir de Marianne qu’il tombe amoureux de l’actrice qui l’incarne. Pourtant, il ne l’aime pas vraiment elle, il aime le passé qu’elle représente, les odeurs et les couleurs qu’elles lui rappellent. Ainsi, même si l’écran s’éteint sur une note d’espoir, on peut se demander en sortant de la salle, si on aime l’autre parce que l’on se souvient de ce qu’il était ou si on se souvient parce qu’on l’aime.
Margot : une femme doublement aimée?
Le personnage de Margot, par son statut d’actrice, met en place un triangle amoureux original, puisque l’un de ces protagonistes n’aime que par mémoire. En effet, la relation entre Victor et Margot n’est fondée que sur la fiction d’une mise en scène. Pour autant, il est intéressant de noter la tendresse qu’elle finit par ressentir pour cet homme et l’amour qu’il finit par lui porter même s’il sait que ce n’est pas Marianne. Derrière tout ça se cache pourtant Antoine, metteur en scène des Voyageurs du temps, qui lui est amoureux de la vraie Margot et qui avait sous-estimé comment pourrait tourner ce jeu. Couple explosif dans leur travail comme dans leur vie, c’est en voyant Margot briller dans les yeux de Victor qu’Antoine comprend sa chance et met fin à la mise en scène pour retrouver sa femme. Lui qui avait idéalisé, enfant, le couple de Victor et Marianne, il pouvait concrétiser son rêve dans son union avec Margot.
Une « recette » du film sur l’amour irréversible ?
Deux ans après son premier film Monsieur et Madame Adelman, Nicolas Bedos s’impose aux Césars avec son nouveau film plein d’originalité et d’acteurs de talent. Malgré tout, on retrouve des thèmes (l’amour, la mélancolie, le vieillissement…), des musiques (Crying Tree de Riaan Vosloo), des types de personnages (la femme « castratrice », un Victor), des lieux (un bar), des époques (années 70’) qui étaient aussi présentes dans Adelman. Alors Nicolas Bedos aurait-il trouvé la recette « l’amour irréversible », pour reprendre ainsi certains détails? Contrairement à cette hypothèse, La belle époque s’inscrit dans un cheminement qui dit bien d’autres choses qu’Adelman. Bien sûr, ce film est conditionné par la pâte mélancoliquement caustique de Nicolas Bedos mais il ne cesse de surprendre et d’innover. Dans chacune de ses productions, on redécouvre nos souvenirs, nos amours et les manques qu’ils nous ont laissés. La belle époque fait réfléchir sur l’écart que creusent le temps et le quotidien entre l’amour passionné et le simple fait d’être ensemble. Elle console, aussi, en disant « ce n’est pas grave, ça peut s’arranger ». C’est par des itinéraires, comme ceux de Victor et Marianne ou d’Antoine et Margot, qu’on se surprend à se reconnaître sur le grand écran et à grandir en 2 heures plus qu’en 10 ans de vie.