Mélange des genres et références
Le caractère référentiel du film est systématique, presque compulsionnel : Persona, Hitchcock, Kiss Me Deadly, Le Casanova de Fellini (La femme aux cheveux bleus), Sunset Boulevard, Gilda, Mabuse, The Wizard of Oz (Mr Roque), Les Deux orphelines (les deux filles au Silencio). Le mélange des genres rend le film littéralement inclassable selon les critères hollywoodiens : MD tient à la fois de la comédie, du western, du conte de fées, du musical, du mélo, du film noir, du fantastique et de l’érotisme. A quoi il faudrait même ajouter la science-fiction si l’on cherche à découvrir la nature de la boite bleue. Rita, juste avant d’être aspirée, ne voit rien dans la boite car il faut être à l’intérieur pour voir (comme dans la cabine de téléphone du Dr Who). Le club Silencio, nous le savons, est une boite (de nuit) bleue qui aspire l’ œil de la caméra et les clients pour les préparer aux métamorphoses qui s’annoncent. La petite boite bleue est un portail, un sas, permettant de connecter des univers parallèles. C’est aussi la figure géométrique opaque qui permet à la structure de tenir. Tout comme le monolithe de 2001 A Space Odyssey maintient un ordre cosmique. L’usage de la caméra subjective, le soin apporté au décor et aux objets qui font signe au spectateur tout en conservant l’énigme de leur présence, évoquent le cinéma de Kubrick. L’opacité de la boite, c’est aussi l’opacité du réel en dépit du soleil de Californie.
Les effets déroutants du puzzle séquentiel conjurés, le traitement de l’image est souvent classique : lents panoramiques, champs / contre-champs traditionnels. On se croirait parfois dans un Douglas Sirk ou un Delmer Daves de la fin des années 50. On y retrouve les stéréotypes hollywoodiens de l’époque, les belles voitures, les vieux téléphones, l’absence du slang omniprésent dans le cinéma américain contemporain, la mode désuète, tout nous ramène en arrière. Et pourtant MD n’a rien d’un film rétro. Il nous parle du cinéma aujourd’hui et de la réalité (y a-t-il une différence?). Il suffit de contempler l’ajustement des motifs sur la toile pour apprécier le tableau d’ensemble
Cinéphilie
Imaginons un cinéphile amateur de divas et d’actrices fameuses. Son univers sera non seulement celui des films mais aussi celui de la vie, souvent tumultueuse et passionnée, de ces femmes exceptionnelles. Elles ont connue une carrière brillante, parfois aussi des débuts difficiles ou une fin tragique. Entre la vie et le cinéma, la frontière est mince. Pour ce cinéphile, érudit et entouré de cassettes et de livres, le fantasme est la seule réalité qui compte. La diva, la star sont réelles. Et leur univers est merveilleux. Donc, le réel est merveilleux, peuplé de créatures excentriques, parfois encore vivantes et que l’on peut rencontrer (comme Rita qui est l’incarnation de la star pour Betty). En fin de compte, après avoir laissé surgir la star hors de l’écran pour transformer la réalité en fiction, il est encore mieux de devenir star soi-même, star de cette hyper-réalité qu’est le monde du cinéma. C’est ainsi que notre cinéphile peuple un monde réel en aspirant à rejoindre les étoiles. « La diva, c’est moi » pourrait-il dire. Mais cette réalité enchanteresse a aussi son revers sordide comme toute réalité. Le sexe, la jalousie et l’argent menacent la cité des anges. Un mauvais génie guette. Les petites boites blanches, ces vieilles VHS dispensatrices de rêves, doivent être détruites. Seule reste la boite bleue, la boite de transfert qui aspire vers l’ailleurs.
Frénésie et lenteur
Pré-générique et générique :
Le jitterbug est associé à un swing sauvage. La frénésie de ces couples démultipliés qui apparaissent et disparaissent résume l’agitation perpétuelle de la vie, sa surface légère où règne la loi du plus fort. Seul(e) celui (ou celle) qui gagne (le concours) peut prétendre accéder à un niveau de réalité supérieur et s’envoler vers la cité des anges, accompagné de ses mentors (anges ou démons).
L’extrême lenteur de la voiture qui roule de nuit comme un corbillard sur Mulholland Drive, au son de la musique dramatique d’Angelo Badalamenti, indique la destination finale des ces danseurs forcenés.
Entre ces deux séquences : le cinéma, la réalité, la vie.