Alors que Scorsese nous laissait mariner depuis l’excentrique et talentueux Loup de Wallstreet – qui ne manque pas de louer une débauche trépidante et non filtrée – il nous livre, avec plus de retenue, une oeuvre plus personnelle qu’est Silence.
Avec Silence, Scorsese “reconvertit” son cinéma en adaptant le roman historique de Shusaku Endo de 1966, portant sur les persécutions des Chrétiens dans le Japon du 17ème siècle.
L’idée du film s’est engrainée dans l’esprit du réalisateur depuis sa première lecture du roman en 1989 ! – et le projet a fait l’objet de recherches affinées et concises depuis ce moment mais ne pouvait voir le jour tant que le réalisateur ne sentait pas “capable” de retranscrire l’oeuvre de l’auteur.
Etant dense spirituellement, il a fallu plusieurs années à Scorsese pour se dire qu’il était prêt à réadapter l’oeuvre, et cela parce qu’il ne comprenait pas le véritable sujet du livre au début. C’est en décortiquant et en continuant de vivre aussi qu’il apprit que le livre portait sur “l’essence de la foi”. C’est en se servant d’avatars religieux que le réalisateur nous invite, en réalité, à nous interroger sur un autre type de foi: une foi personnelle, plus qu’universelle.
Scorsese n’entend pas nécessairement, par foi, une croyance religieuse, mais étend le propos plus loin en exprimant cette idée liée à nos valeurs et à la manière de vivre nos vies.
Martin Scorsese n’a jamais particulièrement caché son intérêt et ses croyances catholiques au fil de sa carrière de cinéaste. Il lui a semblé important avec Silence d’aborder le sujet, en la question, non pas de la religion, mais de la croyance. C’est là où se trouve toute la différence avec les films évangélistes ou religieux. Silence est une interrogation sur son “moi” intérieur.
ATTENTION, cette analyse contient de nombreux spoilers et est avant tout destinée aux spectateurs ayant déjà vu le film.
Synopsis
Japon, XVII siècle. Deux prêtres portugais et fervents jésuites, Rodriguez (Andrew Garfield) et Garupe (Adam Driver) partent en mission au Japon dans le but de retrouver leur mentor (Liam Neeson), dont ils sont sans nouvelles depuis plus d’un an.
Alors que les japonais persécutent et rejettent radicalement la religion chrétienne, les deux prêtres s’engagent à les confronter et à ramener leur mentor sain et sauf chez eux. Seulement, impétueux et fiers, ils ignorent que le véritable défi ne se situe pas sous leurs yeux…
Bande annonce du film
Analyse du film
L’histoire
Le film commence avec des séquences au Japon, où nous apercevons dès lors, Liam Neeson (Star Wars, Taken) prisonnier des japonais, et sur le point de subir d’inimaginables tortures. C’est à travers la lecture d’une lettre que la première voix du film se fait entendre. Ferreira, incarné par Neeson serait, aux dernières nouvelles, en danger au Japon. Retour ensuite au Portugal, où nous sommes introduits à nos deux protagonistes principaux: les prêtres Rodriguez (Andrew Garfield) et Garupe (Adam Driver) respectivement vus dans les franchises Spider Man et Stars Wars.
Garfield et Driver ne sont pas des acteurs auxquels nous aurions d’emblée pensé pour endosser des rôles dans un film de Scorsese, surtout lorsque l’on connait leur parcours cinématographique. Et pourtant, il y a un premier élément qui rend le choix du réalisateur évident: leur physique. Nous ne pouvons nier que Adam Driver ait “une gueule” facilement reconnaissable, de même qu’une voix d’ailleurs (sa voix se prête parfaitement à la posture religieuse), tandis que Garfield fait ressortir une finesse de traits adaptée à la pureté/beauté religieuse à laquelle Scorsese aspirerait.
La compagnie qu’ils incarnent est celle de l’ordre des Jésuites (ou “Compagnie de Jésus”), qui est un ordre séculier fondé en 1540 par Ignace de Loyola et ses compagnons. Cet ordre stricte aspire à une idée principale: répandre, par le biais de l’éducation et de l’intellect, les idées de la foi catholique. Ce qui est révélateur ici, c’est que le mot Jésuite devint un terme familier dans l’histoire des ordres religieux, et signifie même “hypocrite”. Intéressant, notamment lorsque l’on rapporte cette idée à ce que Scorsese en fait dans le film…
En ce début de film, le père supérieur des Jésuites annonce aux deux jeunes prêtres que leur mentor a subi un sort pire que la mort: celle d’avoir succombé à une autre religion et à d’autres pratiques. Les deux prêtres abasourdis, n’en croient leurs oreilles, et demandent à partir en mission de ce pas, retrouver Ferreira. Il faut savoir que les Jésuites sont connus pour leurs valeurs intellectuelles et militaires, c’est la raison pour laquelle il en est de leur devoir de “sauver” leur mentor de ces croyances inconnues.
Scorsese fait d’abord voyager les deux prêtres en Chine, où il semble presque impossible de trouver une âme japonaise pouvant leur servir de guide. C’est un japonais en particulier qui va s’accomplir de cette tâche. Le clin d’œil de Scorsese réside dans le fait que la seule âme japonaise qu’ils aient trouvée est celle de Kichijiro (Yosuke Kubozuka), un exilé, alcoolique et lâche, rêvant de revoir son pays plus que toute chose.
C’est ainsi que commence leur “odyssée” au bas fonds de plusieurs villages japonais, tous plus miteux les uns que les autres.
Les deux prêtres sont accueillis comme des messies par les Japonais-Chrétiens dès leur arrivée au Japon, bien que ceux-ci doivent se cacher car ils seraient traqués. La volonté de Scorsese de montrer l’envers du décor à travers les croyances bouddhistes fait également partie du tableau. La scène la plus révélatrice à cet égard est celle de la discussion entre l’Inquisiteur Inoue et Rodriguez à la toute fin du film: celle où le japonais raconte l’histoire de l’amour passionnel d’une femme laide qui révèle un côté amusant, insultant et incisif à la scène.
Les idéologies dans le film
Les deux prêtres, surtout Rodriguez, font alors la connaissance de plusieurs groupes de japonais ayant abdiqué les croyances japonaises, pour embrasser la foi chrétienne. Combo à la fois intéressant et anodin dont Scorsese n’hésite pas à nous pointer, non pas le ridicule de la situation, mais son côté saugrenu. Il semble important de préciser que malgré toute la ferveur, et le combat que mènent ces groupes de japonais chrétiens, aucun d’entre eux ne semble réellement comprendre l’essence de la religion chrétienne. Ils sont subjugués par les objets religieux que les prêtres leurs donnent, ils sont émus par des “Ave Maria” qu’ils ne comprennent pas, et se privent du peu qu’ils ont pour un dogme qui leur échappe.
La situation, bien que montrée par une certaine sérénité des plans, est en réalité assez affolante. Tout le calme, ce silence qui régit le film est effectivement très suspicieux. Les autochtones japonais chrétiens suivent une religion qu’ils ne conçoivent pas et sont prêts à mourir/se sacrifier pour cela. Pourquoi ? Quel est le message de Scorsese en nous introduisant à des dévots incapables de faire la différence entre vivre sa vie et se garder une place au Paradis ?
Cette partie du film est déroutante car nous assistons à un suicide collectif inconscient. Les japonais ne pensent qu’à une chose: aller au Paradis; tout sera mieux au là-bas alors leur sort sur Terre n’a pas vraiment d’importance puisqu’en plus, ils vivent déjà une vie de misère en tant que paysans.
Les deux protagonistes partent, au début du film avec les mêmes objectifs en tête: sauver Ferreira du joug des japonais (nous ne savons pas encore si celui-ci est moral ou physique pour le moment). Les rumeurs courent selon lesquelles Ferreira aurait “basculé” vers les croyances outre-pacifique, ce qui serait, en soi, plus grave pour nos deux prêtres. Pendant une très grande partie du film, ils ne mentionnent absolument pas que l’idée est concevable, que Ferreira pourrait avoir choisi de souscrire à une autre foi. Et, c’est ce qui est le plus déroutant car ils ne conçoivent pas que l’on puisse trouver le bonheur ailleurs que dans leur foi à eux. C’est également ce que dénonce Scorsese: cette fermeture d’esprit, ce rejet de l’autre, de l’inconnu. Lorsque Rodriguez énonce les dogmes de la religion chrétienne à Inoue, il lui précise même que parce qu’elle est “vérité” universelle, elle concerne tout le monde et ne peut être réfutée. Quelle est cette croyance qui se pense assez supérieure pour surpasser toutes les autres ? Pourquoi faut-il suivre celle-ci et pas une autre ?
La croyance bouddhiste, qui est une croyance polythéiste, autorise cette multitude d’approches de soi-même, chose qu’interdit la religion chrétienne. Comment cela se fait-il que certains japonais succombent quand même au christianisme alors qu’ils ont déjà une possibilité de souscrire à des idées moins informelles ? C’est là aussi que Scorsese dénonce une différence entre souscrire à un dogme parce qu’on le souhaite et y souscrire parce que la morosité d’une vie ne permet pas de réfléchir à une autre alternative.
La tonalité
Scorsese se moque de la religion chrétienne par le biais de Kichijiro, il n’a aucune compassion pour celle-ci, bien qu’il nous dévoile les deux visions opposées dans le film. Tout le drame de Kichijiro réside dans le fait qu’il est incapable de rester fidèle à la religion chrétienne, bien qu’il le veuille véritablement. Dans le film, la plus insolente manière de répudier la chrétienté se fait par un geste simple, et pourtant, oh compliqué à effectuer pour les chrétiens. Il s’agit de poser sur le sol une gravure de Jésus ou de la Vierge et de marcher dessus. Par cet acte, les chrétiens prouvent qu’ils ne reconnaissent nullement cette religion et peuvent ainsi absoudre leur faute. Seulement, quelle difficile tâche que de marcher sur cette gravure ! Le geste est simple et insignifiant, or le refus de marcher sur cette gravure reste fort. Par ce refus, Scorsese dénonce ici autre chose: l’incapacité de se détacher de l’Objet religieux pour prouver sa foi. Il nous invite à réfléchir sur une croyance qui nous serait propre, personnelle et immatérielle surtout !
Kichijiro a du mal à rester fidèle, car sa vie sera toujours plus importante pour lui que ce geste de marcher sur une pierre. Ce personnage tend vers l’absurde de par la répétition des promesses et serments qu’il ne tient pas. Le père Rodriguez lui a permis au moins trois confessions dans le film, ce qui ne résolvait, en rien, son manque de volonté de se sacrifier. Lâche et ridicule, certes, Kichijiro n’en est pas moins le personnage le plus intelligent du film finalement.
Lors d’un échange intense qui a lieu entre l’inquisiteur et Rodriguez, il est aisé de constater que les arguments de Rodriguez (qui défend la chrétienté donc ) sont creux, et manquent cruellement de profondeur. De part ses mots “C’est une vérité, donc elle est universelle”, Rodriguez incarne la foi aveugle, non réfléchie, ébahie et gratuite. Une belle métaphore s’en suit de la part de l’Inquisiteur qui raconte l’histoire d’un homme qui avait quatre femmes jalouses l’une de l’autre, et que cela le pourrissait. Il décida alors de se défaire des quatre, et sa vie s’en porta bien meilleure. Ici, l’homme est une image du Japon et les quatre femmes sont la métaphore du Portugal, de l’Angleterre, des Pays Bas et de l’Espagne.
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Peut-être votre critique manque-t-elle de recul et de connaissance du christianisme ? Je vous invite à vous renseigner sur les faits réels qui ont inspiré cette histoire, et la diffusion du christianisme par les Jésuite dans l’ensemble du Japon à cette époque illustrée par le film. Ca permet de comprendre pas mal de choses. Loin d’être une critique, le film interpelle justement sur une question que vous pointez du doigt : “Les autochtones japonais chrétiens […] sont prêts à mourir/se sacrifier pour cela. Pourquoi ?” Ce n’est pas de l’aveuglement, c’est une tout autre conception du monde et de la vie.
Votre analyse n est pas tres chretienne 🙂 Moi j y vois un hymne a la foi. Rodriguez comme tous les chretiens n a jamajs ete seul, car le Christ, son amour, son message on/sont toujours lá. Sa foi pure est de toute beauté. Mais Le talent de Scorsese est surement de laisser la place aux deux interpretations.