Le cinéma français et américain voit fleurir depuis quelques années la mode des films « inspirés de faits réels », et Robin Campillo, scénariste d’Entre les murs (film de Laurent Cantet palmé à Cannes en 2008) a décidé de partager la sienne.
Synopsis
Début des années 90. Alors que le sida tue depuis près de dix ans, les militants d’Act Up-Paris multiplient les actions pour lutter contre l’indifférence générale.
Nouveau venu dans le groupe, Nathan va être bouleversé par la radicalité de Sean.
Que dire du grand prix du Festival de Cannes 2017 ?
D’abord, que l’événement autour du film est justifié : 120 battements est un film éblouissant et il vous prends aux tripes, que vous soyez un jeune homo profilé ou une soixantenaire non concernée. Tout le film se déroule dans un tension permanente, avec quelques moments d’abandon complet lorsque Robin Campillo nous emmène en boite, sous le rythme de la house.
Le titre du long-métrage vient justement du tempo de la House, musique qui a accompagné les actions des militants d’Act-up dans les années 80 (je vous le dis parce que personne ne vous le rappellera). Avec 120 battements par minutes, Campillo s’est donc inspiré d’un de leurs slogans « Danser = vivre » pour synthétiser l’émergence d’un groupe aussi fort que désarmé.
Retour en 89
Act-up vient donc de naître (en juin 89), et le film nous fait voir avec une grande vraisemblance les combats menés par l’association. On entrevoit la réalité du Sida, les souffrances (personnelles et collectives, physiques et morales), mais surtout la solitude absolue de ces jeunes qui essaient de lutter contre la maladie et les laboratoires pharmaceutiques, dans l’indifférence quasi-générale de l’Etat et l’ignorance du grand public.
Lutter, lutter pour faire (re)connaitre sa maladie, avoir accès aux soins, lutter pour connaître les effets secondaires des traitements, lutter dans le couloir de la mort, ici lutter = vivre.
Un casting époustouflant
Ensuite, que les acteurs crèvent l’écran. Malgré quelques phrases sur-jouées dans la longue (très longue) séquence d’introduction du film, tous les membres du groupe d’Act-up crèvent l’écran, avec Arnaud Valois (Nathan) en tête de file. Chacun d’entre eux évolue dans un système nucléaire, à la fois en solitaire dans son rapport à la maladie et en communauté pour l’appréhender différemment. On se glisse de manière saisissante dans l’intimité de ces jeunes, dont le sida devient presque, pour certains d’entre-eux, une identité : « -Tu fais quoi dans la vie ? – Moi je suis séropo, c’est tout ». De plus le Duo Nathan/Sean développe parfaitement la relation compliquée entre malade et non malade, l’impossibilité d’une vie de couple.
Des mises en scène à couper le souffle
Enfin, que l’histoire s’accompagne de mises en scènes époustouflantes, dont certaines restent gravées en nous, comme celle qui met en parallèle Sean malade (Nahuel XXX) et des plans de la Seine dont l’eau est devenue rouge sang (une action d’ailleurs souhaitée par Act Up, mais jamais aboutie). D’autres séquences méritent une attention particulière, notamment celles des manifs d’Act-up qui font résonner la puissance de groupe, ainsi que la tentative du réalisateur d’intercaler le long du film des images de synthèse de l’infection, un peu à la Requiem for a dream (pour un résultat dont j’ai un avis plutôt partagé). Les transitions sont également toutes finement travaillées, donnant souvent l’illusion de plans séquence : la caméra qui descend le long du corps de Sean nous fait passer de sa chambre où il raconte sa contamination à celle de son professeur qui l’a contaminé. Autre mention spéciale pour les scènes de sexe, d’une douceur incroyable en contraste avec le morbide de la maladie.
Un film vide ?
Toutefois, malgré cet arsenal incroyable, 120 battements pêche dans sa longueur. La première partie introductive qui se situe dans les locaux d’Act-up s’éternise. On s’ennuie assez vite au jeu du « on vous rappelle ce qu’est le sida pour que vous compreniez ». Les séquences répétées des altercations avec les industriels pharmaceutiques ne semblent être là que pour renforcer l’idée que « les labos c’est vraiment des méchants » et une seule rencontre aurait suffit.
Idem pour la deuxième partie du film qui se concentre sur la relation entre Nathan et Sean : il y a trop de séquences inutilement morbides sur la maladie qui dévore Sean, et l’histoire est parfois explicitée plus que de mesure (exemple lorsque Sean explique qu’il a peur, c’était déjà montré de manière évidente). L’enjeu du réalisateur de montrer que la vie d’un malade est ponctuée de répétitions casse l’harmonie du film et lui donne presque un aspect vide, ce qu’il n’est pas du tout.
Stigmatisation et désinformation
Un autre gros problème du film est la non prise de risque. C’est pour moi une grosse déception. Si Campillo n’a pas froid aux yeux pour les scènes de sexe, il se montre plus sage dans la représentation des malades : les toxicos, prostituées et prisonniers ne sont pas représentés (et les enjeux qui leurs sont propres encore moins), et Adèle Haenel semble être surtout là pour la caution lesbienne (bien qu’elle interprète son rôle avec brio).
Le film apporte même un message stigmatisant et dangereux : les gays, qui ne veulent faire que la fête et baiser, sont les seuls touchés par l’épidémie.
On pardonnera en se souvenant qu’Act-up est l’initiative d’une communauté homosexuelle et que le réalisateur raconte sa propre histoire. J’ai toutefois une pensée envers tous ces groupes (et biens d’autres, les migrants, SDF…) pour qui le sida est un problème encore très actuel et pourtant non abordé.
A noter que le vocabulaire médical très technique utilisé dans les scènes de dialogues empêche la pleine compréhension des enjeux la maladie, mais cela nous fait transparaitre l’idée que nous sommes encore aujourd’hui face à une maladie qui nous reste opaque et complexe.
Si 120 battements par minute est à mon sens un film magnifique, il ne contribue pas réellement à nous sensibiliser et nous avertir des risques, sinon à nous informer sur les étapes de la maladie. Une piqure de rappel sur le sida est évidemment bienvenue dans un contexte où les campagnes anti-sida sont de moins en moins prises au sérieux tandis que que le nombre d’atteints augmente encore; mais, et cela vaut pour chaque film, apprendre quelque chose ne nous fais pas forcément agir autrement. Un beau film social n’est pas forcément vecteur d’un progrès social, même si 120 battements s’inscrit dans la volonté ambiante (après La vie d’Adele) de parler des communautés en marge. Cela amène a espérer un avenir prometteur pour le genre.