On déroge un peu à la ligne éditoriale d’Oblikon aujourd’hui avec la critique du grand classique Casablanca de Michael Curtiz.
On pourrait dire qu’un bon film est un film devant lequel on passe un bon moment, et qu’un grand film est un film devant lequel on passe un bon moment, mais qui sait aborder des thèmes universels. Et c’est exactement le cas de Casablanca.
Dans un contexte de seconde guerre mondiale, toutes les grandes questions de justice, de morale et surtout d’amour viennent s’entrechoquer sans que jamais l’une ne vienne gâcher l’autre. D’histoires individuelles, et au travers de l’inénarrable Rick campé par un Humphrey Bogart doté d’un charisme hors du commun, on aborde dans Casablanca tous ces thèmes fondamentaux (à la limite de l’existentiel) sans que jamais cela ne transparaisse comme moralisateur ou donneur de leçons. Bien au contraire, on se retrouve forcément dans un des personnages du film, et le film joue alors parfaitement son rôle de catharsis, nous interrogeant sur comment nous, spectateur, réagirions. Il est facile de nous sentir dans la peau de Rick Blaine, Ilsa Lund, Louis Renault ou Victor Laszlo, et de se dire : « et si j’y étais, que ferais-je ? ». Et la réponse n’est jamais simple, comme nous le montre les personnages du film.
Un tel chef d’œuvre n’aurait jamais été possible sans le brio de Bogart (nous le répéterons autant de fois que nécessaire). Embaumant le film d’un charisme exceptionnel : Dès qu’il est dans la pièce, personne ne peux contrer sa présence. Après une telle performance, on en vient même à se demander si un acteur a aujourd’hui autant de charisme que lui… bref. Ajoutez à cela son air détaché, son cynisme qui laisse transpirer la justice… on en a des frissons. La prestation d’Ingrid Bergman est aussi hallucinante de puissance, mêlant séduction et intelligence, captant tous les regards et nous laissant dans le doute jusqu’à la dernière seconde. Et malgré ce duo solide comme un roc, gravitent autour du couple des personnages secondaires brillants et apportant tous une richesse au film : Paul Henreid incarne un Victor Lazlo profondément révolutionnaire et juste, parfait opposé du major Heinrich Strasser qui joue le rôle d’une Némésis de ce « héros ». Entre ses deux opposés, les autres personnages semblent plus neutres, neutralité de façade comme celle de Bogart ou bien cachée par la peur pour les salariés du café. Deux autres rôles sont brillants de justesse, on pense bien sûr à Claude Rains représentant à lui seul le dilemme de la France libre, et surtout le dilemme d’un homme seul, allant là où le vent le porte pour sauver sa peau, pas assez courageux pour se battre seul, mais pas assez lâche pour se donner corps et âme à l’ennemi. On pense aussi à Dooley Wilson, joueur de piano et lien entre Bogart et Bergman, Paris et Casablanca. Sa musique lie les deux amants maudits et enivre le film.
La réalisation, bien que très « scolaire » est particulièrement réussie, sans réelles fausses notes. La photographie est sublime, jouant habilement des clairs/obscurs devenus classiques désormais (on pense aux travaux du studio Harcourt) et à certaines scènes nous donnant des frissons (je n’avais jamais vibré à ce point devant une Marseillaise…). Le fait que le film se déroule dans quasiment un seul lieu, à la manière d’une pièce de théâtre (dont il est adapté) renforce la puissance de la réalisation qui, de fait, doit être solide pour transmettre ses messages, à défaut de « perdre » le spectateur dans de multiples lieux.
Alors soit, on pourrait reprocher au film sa lenteur, et le fait d’avoir vieillit (il fête ses 70 ans tout de même). Mais la menteur est une fausse critique, elle permet de poser l’histoire, les personnages et donc de s’identifier à eux. Sans elle, nous ne verrions pas un peu de nous dans Rick ou Louis Renault, et nous ne tomberions pas amoureux de ce couple parisien. Donc elle est non-seulement utile, mais surtout indispensable. Quant aux avions en cartons, au noir et blanc (superbe par justement ces clairs/obscurs), aux voix un peu nasillardes et aux pistolets qui font “pan pan”, à aucun moment ils ne vous font sortir du film. Soit c’est vieillot, mais dans un tel cadre, face à tant de justesse et de questions soulevées, cela ne choque pas.
Enfin, je suis obligé de dire que j’ai eu un vrai gros coup de cœur pour la séquence parisienne, devenu cas d’école pour qui veut évoquer une romance passée entre deux protagonistes. La séquence vous transporte, vous êtes avec Bogart et Bergman à Paris, vous aussi amoureux et savourant le temps présent. Woody Allen pourra faire autant de Midnight in Paris qu’il veuille, jamais il ne rendra une telle puissance, une telle atmosphère. Casablanca est le genre de film après lequel on se dit : « Mince, reverrais-je un jour un film aussi dense et puissant ? ». Ca y est, vous avez le virus, et vous aussi, et à tout jamais, “vous aurez toujours Paris”.
N’hésitez pas à réagir en commentaires pour contribuer au développement des articles et théories ! Vos avis sont toujours appréciés et sont bien sûrs lus par la Redak Oblikon ! Et qui sait, peut-être que votre opinion sera la prochaine grande analyse d’un film ou d’une série.