Synopsis
Tony Lip enchaîne les combines et les petits jobs pour se faire de l’argent mais lorsqu’il se fait virer d’un bar pour restauration des locaux, il réalise qu’il n’a pas énormément de choix d’avenir. Issu de l’immigration Italienne, cet ancien videur vit au Bronx avec sa famille qu’il ne sait plus comment aider. Un jour, il est embauché pour un job assez peu commun : celui de conduire le Dr. Don Shirley, un des pianistes les plus talentueux de son temps, dans le Sud profond des États-Unis. Seulement, le Dr. Don Shirley est afro américain, et les hostilités Noirs/Blancs battent leur plein dans ces contrées du pays. Afin d’éviter les hostilités, Tony reçoit un “Green Book”, un guide de tous les établissements qui “tolèrent” les personnes de couleur dans le pays. Le racisme est bien évidemment au cœur des comportements lors des déplacements de Shirley, ce qui influe peu à peu sur la bonne continuation de sa tournée musicale…
Critique
Un côté de Farrelly que l’on ne connaissait pas
Lorsque l’on fait un rapide bilan de la filmographie de Farrelly, il semble étonnant qu’il ait réalisé un film traitant du sujet aussi houleux que celui de la ségrégation. A travers le parcours d’un musicien, il expose le douloureux sujet du racisme aux US dans les années 60. Le réalisateur, plutôt connu et reconnu pour son humour “bête et méchant” (bien que pas si bête que cela quand on étudie ses films en profondeur) en signant des films tels que “Dumb and Dumber” ou encore “Mary à tout prix“, semble, ici, se réconcilier, ou même se concilier avec un genre qu’on ne lui prête pas d’ordinaire: le drame, et un biopic qui plus est.
Des enjeux assez classiques
Le film se déroule en 1962 dans une Amérique profonde et relate l’histoire de Tony Lip, un américain issu de l’immigration italienne et vivant au Bronx, avec tous les clichés qui s’y prêtent: accent, manières, vocabulaire,…Notre personnage est cerné et nous savons à quel type de caractère nous avons à faire.
Un jour, cet homme se retrouve sans emploi à cause de la restauration, qui mène à la fermeture des locaux dans lesquels il travaillait en tant que videur. Tony Lip appartient clairement à une classe en dessous de la moyenne, mais on ne peut pas dire qu’il soit au bord du gouffre financièrement parlant. Ou alors, si on peut dire, mais c’est là que la petite touche Farrelly fait irruption. Dans une situation qui aurait pu être dramatisée par le plus grand nombre, Farrelly décide d’y ajouter une petite pointe de légèreté, en rendant son protagoniste un tantinet blagueur et surtout, parieur. A vrai dire, Tony, c’est un maître de la combine, du chantage et des paris de bas étage. Du coup, c’est en saupoudrant d’un peu d’officieux ses gagne pain officiels qu’il maintient la route et ne tombe pas dans le gouffre.
Le gros problème, bien entendu, c’est que très peu de temps après le commencement du film, Tony se retrouve sans emploi. Que faire ? Nous avons entre-aperçu le personnage et nous savons déjà qu’il s’agit d’un rustre, qui aime la bagarre, pas très distingué et pas doté d’un incroyable amour propre puisqu’il est prêt à parier qu’il peut manger 25 sandwichs juste pour gagner 50$. Tony a déniché une piste: il se trouve qu’un certain Dr. Shirley cherche un chauffeur pour l’accompagner ou il le souhaite. Seule information qu’on ait à ce stade, il faut que Tony passe l’entretien. Et là, on arrive à l’élément déclencheur du film; un peu comme Driss passe son entretien dans Intouchables, nous assistons à “l’Interview” de Tony face au Dr Shirley. Dans une pièce tout ce qu’il y a de plus kitsch et grandiloquent, Tony s’assoit et écoute son interlocuteur lui raconter les futures missions. Tout comme Driss, Tony est en décalé et cela, on veut nous le montrer. Il faut que nous comprenions que nos deux personnages, à ce stade, n’ont rien à voir l’un avec l’autre.
Par une succession de oui/non, histoire de d’ajouter un peu d’essence dans le réservoir, le job est accepté, la mission est lancée, l’objectif est révélé: le Dr Shirley, illustre pianiste et virtuose de son temps, doit faire une tournée dans le Sud des États-Unis, dans des restaurants et bars des plus luxueux, afin de divertir la population blanche pendant leurs soirées mondaines. Tâche suicidaire, pense et sait Tony, puisque son employeur est Afro Américain et qu’il ne s’agira pas uniquement de conduire monsieur d’un point A à un point B, mais bien de s’assurer de la protection du gaillard.
Pas grave, on y va. Le moteur vibre, la voiture roule. Nous voilà partie à l’aventure avec ces deux personnages que tout oppose.
Un Road Movie qui tient la route
Le Green Book est un livre qui véritablement existé. De son vrai nom, The Negro Motorist Green Book (Green car son auteur s’intitulait Green). Il s’agissait d’un guide qui retraçait tous les commerces et établissements qui “acceptaient”, “toléraient”, “autorisaient” la clientèle Noire pendant les années 60.
Or, qui dit guide, dit nécessairement Road Trip. Et qui dit Road Trip, dit “moments forts pendant lesquels les personnages vont apprendre à se connaitre et à évoluer ensemble grâce aux conseils et aux différences de l’autre“. C’est à peu près l’idée du film, oui tout comme tout parcours initiatique digne de ce nom à vrai dire.
Dans Green Book, nous suivons effectivement davantage le parcours de Tony Lip, mais intrinsèquement, nous suivons également celui du Dr Shirley, qui n’a pas le statut le plus facile dans le film.
Ce qui semble étonnant c’est le Road movie en soi est à peine dépeint dans le film. Nous nous serions attendu à des moments de pause contemplative sur la beauté des contrées du Sud. Mais le décor sert à peine de moyen pour que accéder à une contemplation plus importante: celle des personnages, celle de l’un par rapport à l’autre. Nous apprenons ainsi plusieurs choses sur Tony et surtout sur le Dr Shirley, qui n’est pas très bavard comparé à ce dernier.
Des moments forts qui enrichissent le film parfois en manque d’enjeux
Il y plusieurs scènes clés qui font de Green Book un bon film, accessible et touchant, sans pour autant en faire un masterpiece. Pour palier à certaines tournures scénaristiques, Farrelly nous régale tout de même de ces moments qui rehaussent l’intrigue:
Les Funny Moments:
On en compte plusieurs, et c’est ce qui fait que le film n’est pas un film “dramatico-dramatique” dans son intégralité.
1- Dans le film, Tony est très bavard, et raconte un peu tout et n’importe quoi au Dr Shirley lors du road trip, ce qui rend le film agréable et divertissant puisque le Dr Shirley exècre le trop plein de paroles dans le vide, chose que Tony ne conçoit même pas. Pour ce dernier, un bon compagnon de route est un compagnon qui a de la conversation, quelle qu’elle soit.
2- Tony Lip a une mauvaise habitude: il fume des cigarettes à tout bout de champs et à n’importe quel moment, ce qui rend fou le Dr Shirley. Cela crée indéniablement des situations comiques avec, notamment les regards méprisants de Shirley au début, qui ne comprend cette manie de devoir absolument tout le temps fumer. Tony, bien entendu, ne conçoit même pas d’arrêter.
3- Le sandwich: une scène assez drôle se situe au début du film: lorsque la femme de Tony prépare deux sandwich pour le début de voyage de Tony et de son employeur. Bien entendu, un des sandwichs est destiné au Dr Shirley, mais comme les deux hommes se “chamaillent” pour la première fois, Tony n’éprouve aucun scrupule à manger le deuxième sandwich que sa femme avait préparé au Dr Shirley en guise de vengeance (d’ailleurs Tony ne fait que manger durant tout le film, autre élément comique du récit).
4- La relation épistolaire que Tony entreprend avec sa femme: pour lui donner régulièrement des nouvelles, Tony a promis à son épouse de lui écrire régulièrement, vu qu’il part pour quelques mois en tournée. Ce qui est drôle dans ces moments, c’est que, non seulement Tony ne sait pas écrire correctement, mais surtout que ce qu’il raconte est foncièrement inintéressant (d’après les remarques de Shirley qui entreprend de l’aider à faire de la poésie et à impressionner la femme de Tony). C’est d’ailleurs à partir de ce challenge épistolaire que les deux hommes commencent vraiment à s’apprécier.
Les Emotional Moments:
Pour que le film garde un peu de son sérieux dans l’adaptation d’un sujet aussi pesant que celui du racisme (dans le sens de dur plutôt que de lourd), Farrelly nous ajoute des petites scènes de “il vaut mieux en rire qu’en pleurer, mais n’oublions de pleurer quand même).
1- Il faut savoir que le Dr Shirley dans le film est un personnage complexe car il n’est pas uniquement persécuté pour une chose que l’on voit, c’est à dire sa couleur de peau. Mais aussi, et surtout il le serait pour une chose qu’on ne voit pas: son homosexualité. Imaginez donc, un virtuoso du piano, noir, homosexuel jouant de la musique de virtuose dans la partie la plus reculée des États Unis, bien sûr que cela génère inévitablement du conflit. Le débat est légèrement ouvert mais, sans trop le pousser, nous le savons en vue d’une scène où Shirley est arrêté pour avoir “touché” un homme sous la douche. Un beau conflit, digne d’un grand artiste torturé. Cela explique pas mal de choses sur le comportement psychorigide et hautain de Shirley; probablement: par peur d’être découvert dans sa totalité, il se doit de rester digne jusqu’au bout.
2- “Un double affront sociétal” qui ne suffit pas: oui, mais voilà, Shirley est noir, gay et musicien; ce qui en fait crée une tierce problématique: celle de son statut qui est assez intéressante. Shirley le dit lui même: “s’il n’est pas blanc, ni noir, ni homme, alors qu’est-il ?” Cette phrase résume finalement tout le film et la scène qui en découle est une des plus marquantes. En effet, ce que Shirley pointe du doit c’est qu’il ne peut pas être accepté parmi les blancs, même s’il est un musicien de grand talent, ni parmi les Noirs, parce que, justement, “son peuple” ne comprend pas ce statut de musicien aristo qu’il s’est conféré à lui-même, et enfin, il ne se sent pas homme, parce qu’il ne peut pas du tout assumer sa sexualité. Ce trio de problématiques constitue, selon moi, toute la genèse du film de Farrelly.
Il semble particulièrement dommage, ceci dit, que la partie musicale n’ait pas été poussée un peu plus loin. Bien sûr, il ne s’agissait pas de détourner un “Whiplash“, mais nous aurions pu avoir une meilleure proposition de la musique afro en comparaison à la musique classique que Shirley propose tout au long du film. Certains moments, notamment la scène du bar où Shirley démontre tout son talent à un public afro, sont très agréables cependant.
Green Book est un beau voyage, pas dans le sens géographique mais plutôt sociétal et humain. Il paraît parfois un peu facile et léger, mais les blagues fonctionnent. On ne s’esclaffe pas, on ne met pas de baume sur nos joues larmoyantes, mais on apprécie. Il ne faut pas oublier que l’histoire de Tony Lip et Dr Shirley a réellement existé, et pour cela, le film mérite une attention et une écoute sincère. Cette histoire est avant tout une belle épopée d’amitié. Aussi, Tony Lip et le Dr. Shirley sont restés amis jusqu’à leur mort et le film n’a pu être réalisé qu’à ce moment.
Bonus: quelques anecdotes sur le film
1- Lorsque Peter Farrelly propose à Viggo Mortensen (Le Seigneur des Anneaux, History of Violence) le rôle de Tony Lip, Mortensen refuse plusieurs fois au début et il lui faut relire le script au moins quatre fois pour qu’il accepte enfin. La raison de ce refus ? Il ne se sentait pas d’incarner un italien, et avait peur que cela paraisse plausible. L‘acteur s’est si bien fondu dans le rôle qu’il a réussi à faire oublier ses racines danoises. “C’était par moment presque irréel tant il me rappelait mon 14 père. Ses tics et la manière dont il allumait et fumait sa cigarette étaient exactement les mêmes, il s’est parfaitement approprié sa gestuelle, au point que quand je le regardais, c’était mon père que je voyais. C’était à la fois très étrange et très émouvant” se souvient Nick Vallelonga)
2- Une histoire authentique, d’autant plus que Tony Lip et le Dr. Shirley se sont tous deux éteints en 2013, et il aura fallu ce moment pour que les membres de la famille, Nick Vallellonga, notamment qui est le fils ainé de Tony Lip et a co-écrit le film avec Farrelly, accepte qu’un film soit fait et leur rende hommage.
3- Le livre intitulé The Negro Motorist Green Book a réellement existé et retraçait tous les commerces et établissements qui acceptaient la clientèle Noire.
Ref anecdotes: http://www.allocine.fr/film/fichefilm-256661/secrets-tournage/