Analyse et explication de Beyond the Sky de Fulvio Sestito

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Témoin à l’âge de 7 ans d’une violente dispute entre ses parents, Chris Norton n’a jamais voulu reconnaître la version du père : sa mère aurait été enlevée par des extraterrestres sur le seuil de sa maison. Pour Chris, il s’agit d’une affabulation destinée à masquer une banale réalité : la fuite du domicile conjugal. Devenu adulte, Chris se rend à une convention des ovnis au Nouveau-Mexique, bien décidé à débusquer les impostures et les phénomènes psychologiques de faux-souvenirs. Mais sa rencontre avec Emily, une jeune artiste locale qui sculpte des « dream catchers », va ébranler son attitude de non-croyant.

Beyond the Sky (ou Encounter, premier titre) est un film qui explore habilement plusieurs pistes d’interprétation du phénomène ovni, tout en maintenant un suspens lié à l’enquête d’un journaliste, l’ex-enfant incrédule, et de son ami, un cameraman attaché à ses pas. Le climax, spectaculaire, est plutôt réussi visuellement et nous ne sommes pas déçus par les révélations finales. Mais, à la lumière des récentes recherches ufologiques, il faudra se demander quels buts poursuivent ces « extraterrestres », appelons-les visiteurs, et aussi quels sont les moyens limités dont ils disposent.

Des rencontres liées au vécu des contactés

Premier écueil évité : la psychologisation du phénomène, tendant à renforcer la thèse de l’hallucination, individuelle ou collective. Il n’y aurait aucune réalité objective de la rencontre et les témoins seraient des personnes fragiles, éventuellement de bonne foi mais qui ont tout inventé.

Or, le film ne dit pas cela. Les contactés ne le sont pas parce qu’ils ont un vécu difficile bien que la rencontre ne puisse se faire qu’à travers l’expérience d’un vécu qu’il s’agit de gérer en l’acceptant ou en le refusant, le refus présentant plus de souffrance que l’acceptation. Ainsi, Chris n’a pas vraiment été « traumatisé » dans son enfance mais il avait quand même des problèmes avec son père. Quant à Emily, nous ignorons son passé, elle est très discrète. Il n’en reste pas moins que la  rencontre est liée à des affects, à des étapes de la vie qui passe… ou ne passe pas et donc se répète. D’où la fréquence des enlèvements pour Emily (tous les 7 ans).

La fausse piste du coup monté

Deuxième écueil évité : les manipulations du complexe militaro-industriel. L’Etat américain saurait parfaitement à quoi s’en tenir mais cacherait la vérité à la population car le message de paix des gentils E.T. ne conviendrait pas aux marchands de canons. Il faudrait donc effacer les preuves matérielles et encourager les témoignages les plus extravagants pour discréditer la recherche sérieuse.

Dans le film, Bill l’homme d’affaires et organisateur de la convention serait de mèche avec l’armée. On croit au départ que c’est un gentil croyant qui protège les témoins puis on découvre que c’est un méchant imposteur qui kidnappe les futurs contactés et leur suggère de faux souvenirs par injections de drogues hallucinogènes. Voulant conserver son business florissant et augmenter le nombre de stands, il fabrique de faux témoins sincères. Toutefois, le lien avec l’armée n’est qu’une rumeur entretenue par Kyle, son complice, et il n’y a aucune preuve. Tout indique au contraire que Bill agit pour son propre compte et son effarement devant l’apparition de l’ovni montre bien qu’il n’est pas dans la confidence avec les puissants. Enfin, le comportement caricatural de Bill, la facilité avec laquelle les captifs réussissent à fuir déréalisent cette séquence de faux debunking et permettent d’écarter l’hypothèse du hoax.

Dans le magasin d’accessoires, les statuettes sont nombreuses. Un « homme en noir » sans visage voisine avec des représentations plus classiques d’êtres petits ou grands. La propriétaire du magasin explique à Chris que la figurine de l’homme en noir a été réalisée à partir de la description d’ Emily. Comme il ressemble aux hommes de main déguisés par Bill, il est vraisemblable qu’Emily soit une de ses victimes sous influence ; elle a pu tomber sous sa coupe à l’âge de 21 ans, lors du 3ème enlèvement. Mais qu’en est-il du  2ème (14 ans) et du 1er (7 ans) ? C’est impossible. Le film suggère donc que Emily soit à la fois – mais pas forcément en même temps – manipulée par un imposteur sans scrupules et victime d’abduction par des aliens. Au choix du spectateur qui reste libre dans son interprétation.

Les Amérindiens et les visiteurs

Tous comme les Amérindiens représentent une tradition oubliée ou niée par une nation génocidaire qui joue au gendarme du monde, les visiteurs aussi sont oubliés ou moqués dans les médias dominants, le sarcasme étant aussi une forme de négation. Le parallèle, établi par le film, s’appuie sur l’existence entre les deux groupes d’une forme d’accord sur la bonne administration du parc humain. Le site Anasazi, avec ses fosses, serait une sorte d’aérodrome ou d’interface entre deux mondes. D’après les Pueblos actuels, ce sont les visiteurs qui ont besoin de nous et en donnent les raisons… un peu faiblardes (perte du sens du don). Les visiteurs confirment mais ils créent des perturbations dont ils mesurent mal l’impact dans la vie des contactés.

Le rituel ou la cérémonie est destiné à empêcher les visiteurs de revenir, en négociant avec eux sans affrontement. Les Amérindiens ont ainsi avec les « Old Ones » (traduction de « Anasazi » en langue Navajo) un rapport privilégié mais de subordination ; ils peuvent les invoquer comme des dieux, leur adresser des suppliques, mais pas les contraindre. Et si les dieux ont besoin des hommes plus que l’inverse, la rencontre est inévitable. Elle aura lieu au bon moment (périodicité respectée) où que ce soit. La fuite est vaine.

L’intérieur de l’ovni qui, extérieurement est une soucoupe volante un peu cotonneuse, ressemble à une caverne virtuelle et renvoie au passé préhistorique de l’homme.

Effacer la mémoire pour modifier le futur

Quand les visiteurs parlent directement ou par l’intermédiaire de leur relais Pueblos, il faut faire la part de la sensiblerie : ce n’est probablement pas parce qu’ils sont trop attachés à la raison et pas assez à des sentiments altruistes comme le don de soi qu’ils viennent nous rendre visite. Si c’était le cas, la démarche serait inconcevable. S’ils l’entreprennent dans cet état d’esprit, c’est qu’ils sont déjà sur le chemin. Plus sérieusement, ils donnent une raison valable à leur venue : « Nous sommes le produit de l’évolution humaine. Quelque chose fut perdu à travers le temps. Nous effaçons les mauvais souvenirs pour savoir si votre futur peut être différent du passé ».

En quoi effacer les mauvais souvenirs peut modifier le futur et surtout le futur de qui ?

A première vue, il s’agit du futur des opérés puisque l’enlèvement est suivi d’un prélèvement mémoriel effectué à l’aide d’un appareil fait d’une matière inconnue et qui se fixe à la nuque. Mais les opérés oublieux (sous anesthésie) auraient plutôt besoin de retrouver la mémoire pour se libérer des mauvais souvenirs sans les refouler. C’est ce que Emily réussit à obtenir à la 4ème rencontre. Sans qu’on sache trop comment ni pourquoi elle avait échoué les fois précédentes. On remarque juste qu’elle n’est pas venue seule et que le couple formé avec Chris fait face à un autre couple dans le véhicule-caverne. Le résultat est que les mauvais souvenirs sont intégrés au parcours et l’avenir n’est plus voué à la répétition. La rencontre avec Chris va reléguer l’alien au statut de « mauvais souvenir ». Si c’était eux les vrais mauvais souvenirs qu’ils prennent le soin d’effacer avec le reste ?

Mais il peut s’agir aussi et surtout du futur des visiteurs eux-mêmes. Voilà ce qu’il faut expliquer.

Nous savons que Homo Sapiens existe depuis environ 200 000 ans. Si nous considérons que, de toutes les espèces du genre Homo, Néandertal a la durée de vie la plus longue (plus de 400 000 ans), on peut donner à Sapiens, beaucoup plus instable que Néandertal, et dans l’hypothèse la plus optimiste, encore 200 000 ans d’existence. Nous serions à la moitié de notre parcours. Or, la planète Terre peut encore favoriser la vie biologique environ 1 milliard d’année, avant que le soleil, en commençant à mourir, se dilate et brûle les planètes de son système.

On peut déduire de ce qui précède quelques remarques sur le phénomène ovni qui vont nous ramener au film.

[1] l’hypothèse extraterrestre, largement exploitée par la culture populaire, n’est pas a-priori impossible mais hautement improbable en raison des distances énormes entre les galaxies et ce, malgré les trous de ver de l’espace qui constitueraient des raccourcis possibles. Et qui pourrait tracer la carte des trous de ver accessibles aux transports ? 

[2] l’hypothèse des voyageurs venus du futur est recevable. Aujourd’hui, les physiciens nous expliquent que les voyages dans le temps sont théoriquement possibles et qu’il n’existe pas de conjecture de protection chronologique comme le croyait Stephen Hawking. Autrement dit, des êtres intelligents et disposant de la technologie ou du pouvoir mental, pourraient fort bien remonter jusqu’à nous ou jusqu’ avant la naissance de l’homme en laissant des traces de leur passage. Cependant, il y a des contraintes très fortes qui limitent le champ d’action ; le visiteur est dans l’impossibilité, par exemple, de tuer un de ses ancêtres, car alors il ne serait pas né. Ces contraintes peuvent être levées si le futur est modifié en même temps que le passé. Sinon, les modifications ne peuvent relever que du détail. Et c’est pourquoi le voyageur éventuel est non seulement incognito mais il passe inaperçu. Ou alors il se manifeste scéniquement (phénomène ovni avec alien) mais cette manifestation, de par sa nature, n’impacte pas profondément le futur de notre espèce.

Dans Beyond the Sky, l’espèce qui nous rend visite est du genre Homo puisque les humanoïdes se présentent comme le produit de l’évolution humaine. Dans 200 000 ans Sapiens aura disparu mais pas nécessairement Homo. Là où les films d’anticipation en général font preuve de timidité, c’est dans la prospective à très long terme. En effet, le genre Homo, bien que buissonnant, n’est pas éternel et il disparaîtra, tout comme les grands reptiles, dans quelques millions d’années. La vie biologique pouvant continuer encore sur Terre pendant un milliard d’années, la probabilité est très grande qu’en vertu de la complexité croissante du vivant depuis l’apparition des premières cellules, d’autres êtres vivants et intelligents orientent l’histoire de la conscience sur Terre dans une direction différente.

Il n’est pas nécessaire, pour imaginer une espèce intelligente mais non humaine, d’aller la chercher sur une autre planète. Elle habitera la Terre dans des millions d’années et pourra peut-être voyager  vers le passé, notre présent. Mais les scénaristes du film, prudents, se sont contentés d’humains du futur, ce qui n’est déjà pas si mal et correspond à la tendance actuelle de l’ufologie.

Ils viennent de loin, ce qui ne les empêche pas d’avoir encore un avenir qu’ils aimeraient bien modifier. Quelque chose fut perdu à travers le temps qu’ils cherchent à retrouver dans le passé en faisant des expériences. Mais modifier le passé n’étant possible qu’en modifiant aussi le futur, peut-être n’en sont-ils pas capables. Le drame des visiteurs est qu’ils sont condamnés à rester les êtres raisonnables mais incomplets qu’ils sont devenus. Ils se contentent de modifier la mémoire de leurs lointains ancêtres en l’effaçant partiellement, ce qui est peu de chose. Et même cela, ils doivent y renoncer car les hommes du présent n’ont pas besoin d’eux. Leur mission est un échec.

L’ œil révélateur de la caméra

C’est l’image qui révèle une vérité partielle :

– images non tournées par le jeune Chris mais vues en prolongement mental de son propre film dans la soucoupe volante : l’arrivée de la soucoupe devant Norton père et fils – mais ce dernier oublie l’événement – et le double enlèvement temporaire du père et du fils puisqu’on voit les rayons envelopper l’enfant. La mère, par contre, a disparu, sans qu’on sache si elle s’est enfuie ou si elle a été enlevée. On notera que le père insiste auprès de la mère pour qu’elle reste devant la télé, comme si le média mainstream allait la retenir.

– la caméra de Brent : L’homme en noir qui erre dans la nuit près du cochon blessé. La silhouette apparaît en arrêt sur image mais n’est pas décelable sur le terrain en pleine nuit. L’homme en noir est associé à la violence et au sang ; ceux de l’enlèvement manu militari et des coups de seringues.

– la caméra de Brent, encore : la transe pendant deux heures dans une voiture à l’arrêt. Le court-circuit provoqué par le capteur de mémoire entraîne un black-out mental au cours duquel des informations ont pu être transférées sans que le capteur soit adapté. Avec Emily, le capteur est collé au cou comme une sangsue.

Paraissant céder à la mode du film vidéo dans le film, le réalisateur inclut de nombreux plans tournés par Brent. Mais comme les images sont très stables et qu’elles diffèrent peu des autres, on doute qu’elles proviennent vraiment d’une caméra sur l’épaule. Il s’agit surtout d’indiquer l’importance relative du regard mécanique dans le récit des abductions, quand c’est l’ œil humain, fenêtre de la conscience, qui participe du phénomène. Les images que le jeune Chris n’a pas tournées mais qu’il visionne mentalement dans l’ovni ou celles d’Emily avec sa mère sont plus importantes que celles du cameraman montrant l’homme en noir.

Ovnis et Conscience

Les faux souvenirs, suscités par injections de drogues dures produisent des représentations fantaisistes qui alimentent le business des conventions d’ovnis et endorment la vigilance des chercheurs.

Les vrais souvenirs sont effacés. Ce sont ceux engendrant la souffrance, ceux relatifs aux échanges dans le vaisseau, jusqu’à l’enlèvement lui-même. Emily sait qu’elle a été enlevée mais n’en sait guère plus. Chris ne sait même plus qu’il a été contacté en même temps que son père.

Le contacté participe activement, mais contre son gré, à la production des images qui lui sont arrachées, au témoignage qu’il fournit au visiteur. Paradoxalement, le contacté est aussi un témoin pour le visiteur. Il témoigne de sa propre ligne de vie. A l’inverse de la psychanalyse où le thérapeute est censé conduire la séance en fonction des intérêts de son patient, ici c’est le thérapeute qui retire bénéfice des souvenirs refoulés de ses victimes. Car le patient devient victime à répétition, comme dans le cas d’Emily qui a rendez-vous avec son passé tous les sept ans, mais sans le connaître.

En fin de compte, l’effaceur de mémoire est un appareil dangereux qui ressemble davantage à un capteur de flux vital pour vampires de l’espace. Mais il suffit de savoir demander à nos descendants de bien vouloir arrêter leur travail de succion et c’est fini. Les Indiens échouent, Emily y parvient à l’occasion de son 28ème anniversaire et de son quatrième enlèvement.

Le rôle de la conscience est primordial mais, dans le film, elle n’intervient que dans le traitement des souvenirs, vrais ou faux, et pas semble-t-il dans la production même de la réalité. Pourtant, Emily et Chris ont une brève conversation sur la nature du réel autour d’un objet qu’ils perçoivent différemment. Mais ils ne vont pas jusqu’à mettre en doute l’apparence des visiteurs, une fois l’homme en noir renvoyé au magasin des accessoires. Si l’on suit le scénario, il faut admettre que les visiteurs sont réellement tels qu’ils  nous apparaissent à la fin et qu’ils n’ont pas besoin de se nourrir de nos représentations mentales pour se manifester. D’autres entités terrestres, venant après eux, pourraient devoir négocier avec la conscience de l’observateur les aspects extérieurs de leur manifestation. Mais c’est une autre histoire.

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2 commentaires
  1. plusieurs interprétations pour ce film , qui je trouve est une reussite , si toutes les bobines de sf pouvaient retrouver cet elan de créativité

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