Avec Steve Jobs, Danny Boyle renoue une fois de plus avec le huis clos d’une manière assez inattendue. Car au delà d’utiliser régulièrement cette technique, Boyle la transforme encore et encore. On pense en particulier à son premier film Petits Meurtres entre Amis (1994), où même si l’action ne se passe pas dans un seul et même lieu, tous les moments clés et dramatiques se déroulent dans le même appartement, qui devient un personnage à part entière. On se rappelle également de La Plage (2000), film aux thématiques du voyage, de l’évasion, de l’aventure, qui nous plongeait finalement dans l’enfer de trois touristes occidentaux se retrouvant prisonniers d’une île thaïlandaise paradisiaque et de la secte qui y réside. On pense aussi à Slumdog Millionnaire (2008), où Jamal Malik, jeune indien défavorisé, subit un interrogatoire car il est soupçonné d’avoir triché à la version indienne du jeu « Who Wants to Be a Millionaire ? » Seuls les souvenirs en flash-backs de Jamal, nous sortaient brièvement de la tension en huis clos. Pour finir, 127 Heures (2010), peut-être le plus classique des huit-clos de Boyle, où l’alpiniste Aron Ralston (interprété par James Franco) se retrouvait coincé entre deux pierres pendant toute la durée du film, et où une nouvelle fois, seuls les souvenirs en flash-backs de l’alpiniste, nous permettaient de sortir un temps de ce traquenard.
Synopsis
Dans les coulisses, quelques instants avant le lancement de trois produits emblématiques ayant ponctué la carrière de Steve Jobs, du Macintosh en 1984 à l’iMac en 1998, le film nous entraîne dans les rouages de la révolution numérique pour dresser un portrait intime de l’homme de génie qui y a tenu une place centrale.
Critique du film Steve Jobs, sorti en 2016
Biopic non conventionnel, où les mots s’enchaînent à une vitesse démesurée et où l’on suffoque parfois malgré le prestige et l’ampleur des lieux sacrés, Steve Jobs conte l’histoire d’un prophète controversé. Car Steve Jobs est-il un simple beau parleur ? Un produit marketing, un panneau publicitaire, une imposture ? En d’autres termes, ne serait-il que la devanture d’une science humble et silencieuse ? Qu’elle est sa vraie contribution dans le succès d’Apple ? Plusieurs éléments personnels s’ajoutent à l’aspect professionnel de Steve Jobs. On apprend ainsi qu’il fut adopté une première fois par une famille d’accueil avant que celle-ci ne le « retourne en magasin » un mois plus tard. Un sentiment de rejet fort nait alors chez Jobs, qui semble dès lors ne trouver de réconfort que dans la détestation d’autrui à son égard. L’éternel mal aimé qui s’est fait tout seul, voici le Jobs dépeint. Et quand son ami Andy Hertzfeld lui lance plein de rancœur : « On peut être talentueux et bon à la fois » il nous révèle en vérité toute la problématique du film.
Comme pour ses précédents longs-métrages, Boyle installe dans Steve Jobs un huit clos sans que l’on s’en aperçoive, et il faut un certain temps avant de comprendre la structure spatiale de son dernier film.
Telle une pièce de théâtre en trois actes, Steve Job nous retrace la vie de Jobs (interprété par Michael Fassbender) un soi-disant génie de l’informatique et du marketing. A l’aide d’ellipses temporelles on retrace brièvement les grandes avancées techniques de ces dernières années, pour s’arrêter finalement aux moments fatidiques de la vie de Jobs. On le retrouve à trois reprises dans les coulisses de lieux mythiques où il s’apprête à donner THE conférence tant attendue, sur ses dernières prouesses au sein d’Apple, ou en solo lorsqu’il fut évincé un temps de la compagnie. Techniquement parlant, le film ne se déroule donc pas dans un seul et unique lieu, mais toujours dans un lieu mythique, et pour les mêmes raisons, à des moments différents de l’évolution professionnelle de Jobs.
Au delà d’être originale, cette structure raconte quelque chose. Car même si cette approche du huis clos laisse parfois sur sa faim à cause d’une mise en scène peu originale (peu d’explorations et d’exploitations des diverses possibilités de l’espace par la caméra) d’une direction d’acteurs sans grand intérêt avec des acteurs statiques, ne sachant que faire de leur corps, parfois même surjoué (attention Kate Winslet…), cette structure théâtrale en trois actes amène cependant des thématiques intéressantes et raconte quelque chose de plus profond sur le personnage de Jobs.
On peut en effet entrevoir ici des thématiques mythologiques, voire religieuses, avec un personnage représenté tel un Hercule ou un Jésus des temps moderne. A la fois mi-homme, mi-dieu, Steve Jobs est un être qui a ses fêlures (si l’on en doutait). Avant d’affronter le regard du monde lors de ses grandes conférences, Jobs doit faire face à celui de son entourage. Lorsque Jobs se prépare à monter sur scène dans les coulisses des lieux mythiques de représentations, il se trouve en réalité dans un sas divin, prêt à devenir un Dieu. Mais il doit d’abord se confronter à son humanité et à ses relations amicales, amoureuses, et parentales plus tumultueuses les unes que les autres. Jobs « revoit les fantômes de son passé » ressurgir avant chaque « accouchement créatif ». On le ramène à sa condition d’être humain quand lui est appelé par les dieux.
Ses amis et collègues de toujours (Steve Wozniak et Andy Hertzfeld) le confrontent à ses erreurs et à son manque de loyauté, quand son ex-conjointe lui rappelle qu’elle vit dans la misère avec leur fille, quand lui touche des millions. Fille d’ailleurs, qu’il renie pendant de longues années avant d’admettre qu’il en est bien le père. Et quoi de plus humain qu’un géniteur ? Confronté à trois reprises à sa fille et donc à sa paternité qu’il renie d’abord, c’est son humanité qu’il rejette en réalité.
On savoure avec un malin plaisir ce petit arrière gout de The Social Network, avec cet anti-héro génial mais à la morale contestable, et l’on reste sans réponse quand à ces questions fascinantes : Peut-on, oui ou non, être bon et génial à la fois ? Comment un homme devient-il un génie, si bien même il le devient… ?