Des stars au déclin tragique
Dans cette deuxième partie, nous allons faire le point sur les arches narratives de Jack Conrad, Nellie Laroy et Mannie.
Pourquoi Jack Conrad s’est-il suicidé ?
À la fin de Babylon, Jack Conrad se suicide, incapable de faire face au suicide de son ami George et à la réalité de sa carrière d’acteur en déclin. Cette histoire de déclin d’un acteur du muet, nous l’avons vue et revue, dans Chantons sous la pluie (clairement cité par le film) mais aussi dans The artist. Le personnage a également beaucoup en commun avec le personnage du film A star is born. Bref, ce n’est pas forcément le personnage qui nous passionne le plus au début du film. Damien Chazelle et Brad Pitt l’ont bien compris et privilégient autant que possible la comédie lors des scènes centrées sur ce personnage. Il est presque une caricature, une nouvelle variation toujours plus misogyne et macho de son personnage dans Once upon a time in Hollywood.
Et pourtant, peu à peu, quelque chose se passe. Au fur et à mesure que le personnage s’éteint et que sa carrière sombre, une étincelle de vie prend forme. Brad Pitt apporte sa sensibilité unique, notamment aperçue dans le somptueux L’assassinat de Jesse James, qui lui avait d’ailleurs permis de décrocher (à juste titre) le prix d’interprétation à Venise. Lors des dernières séquences avec le personnage, on se demande s’ils s’agit toujours de Jack Conrad, ou si Damien Chazelle et Brad Pitt ne sont pas en train de dire que le moment de se retirer est venu pour le comédien. Cela fait vingt ans qu’il a créé sa société de production, Plan B, et celle-ci multiplie les succès publics et critiques. Brad Pitt a d’ailleurs plusieurs fois joué les seconds rôles pour soutenir des films produits par la compagnie. Ce “plan B”, comme il l’a appelé il y a vingt ans, est peut-être plus que ça. Il correspond peut-être à la deuxième partie de carrière d’un homme qui ne pourra pas (ou ne voudra pas) éternellement rester une star, dans des gros films, sur le devant de l’affiche, alors que le cinéma change et que de nouveaux artistes prennent la relève.
Alors qu’il était clairement le personnage le moins intéressant du film, Jack Conrad est sublimé par son interprète dans ses dernières scènes et s’en va dans une séquence sobre, loin de l’extravagance du reste du film.
Qu’arrive-t-il à Nellie LaRoy à la fin de Babylon ?
Malgré le succès, l’argent et l’amour inconditionnel de Manny, Nellie LaRoy ne parvient pas à vivre une vie heureuse. Elle est totalement accro à la drogue et se laisse bouffer peu à peu par Hollwood, elle qui voulait garder le contrôle sur tout, tout le temps. Elle ne peut échapper aux dettes qu’elle a accumulées et au terrible James McKay à qui elle doit de l’argent. Dans une dernière danse, elle choisit encore son destin, et plutôt qu’une vie rangée, sage, avec Manny et des enfants, une vie qu’elle pense ne pas pouvoir vivre, elle choisit son destin. Elle reste à Los Angeles et nous apprenons par une coupure de presse qu’elle est retrouvée morte dans une chambre d’hôtel, à l’âge de 34 ans.
Si elle a pu mourir d’une overdose, on peut aussi supposer qu’elle a été rattrapée par James McKay et ses hommes. Le mystère reste entier, mais n’est finalement pas si important.
Qu’arrive-t-il à Manny Torres à la fin de Babylon ?
Au moins un des personnages principaux de Babylon connaît une fin heureuse. De retour à Los Angeles après avoir été contraint de quitter Hollywood, Manny Torres réalise que son travail ont contribué aux changements d’Hollywood et surtout à l’évolution du cinéma. Son nom a été oublié, mais ses efforts n’ont pas été vains.
Dans les derniers instants du film, le film prend une tournure pour le moins étrange lorsque Manny va voir Chantons sous la pluie au cinéma. Alors qu’il est assis dans une salle comble pour regarder cette comédie musicale classique, il s’endort. A son réveil (ou durant un rêve), il commence à se souvenir de tout ce qu’il a vécu : La folie des soirées et des tournages, la transition entre le muet et le parlant… Une émotion traverse Manny à de moment, une émotion intense, complexe, entre “soulagement, douleur et épiphanie” en regardant le film (ce sont les mots du réalisateur Damien Chazelle, pas les miens).
La fin du film expliquée par Damien Chazelle
Alors qu’il est vit cette émotion intense devant l’écran, quelque chose d’assez particulier se passe pour les spectateurs de Babylon, devant l’autre écran, le “vrai”. Babylon enchaine avec des plans tirés de films cultes : Le voyage dans la Lune de Méliès, Jurassic Park de Steven Spielberg, Avatar de James Cameron et bien d’autres… Chazelle a expliqué au média américain Collider pourquoi il avait décidé d’inclure ce bref voyage dans l’histoire du cinéma.
“Au lieu d’essayer de transmettre l’émotion que nous voulions transmettre à travers un seul film, nous nous sommes dit : “Utilisons ce film pour ouvrir une multitude d’autres films et une multitude de souvenirs, pour finalement revenir à ce que j’appellerais les éléments de base, les atomes du cinéma, c’est-à-dire la couleur et la musique, ou la couleur et le son. C’est juste qu’en fin de compte, tout se résume à ça, un spectacle son et lumière. Cette idée de base est si simple qu’elle a perduré pendant plus de cent ans. Je pense qu’il y a quelque chose de primitif et d’éternel dans les images qui clignotent sur un mur, que ce soit à l’époque des peintures rupestres ou dans un cinéma, et je pense que cela ne disparaîtra jamais. Cette idée plus grande et notre personnage qui la réalise, c’est l’épiphanie pour moi à un certain niveau. Non pas que je veuille la réduire à des mots, mais à un certain niveau, il y a quelque chose de plus grand qu’il peut à peine saisir, que chacun de nous peut à peine saisir.”
Depuis plus de 70 ans, tout le monde annonce la mort du cinéma. D’abord avec la TV, puis les cassettes, les DVD, le streaming, le Covid…. Chazelle explique “Ce genre de changement de paradigme va et vient, tout comme les carrières vont et viennent et les stars de cinéma vont et viennent. À un certain niveau, c’est très effrayant, et cela peut même être déprimant. Mais à un autre niveau, et j’espère que c’est là que Manny trouve une sorte de paix à la fin, c’est réconfortant parce que vous ne pouvez pas vous empêcher de prendre conscience que vous êtes beaucoup plus grand que vous et que vous faites partie de quelque chose de plus grand. Le simple fait d’en être une petite partie est vraiment spécial et éternel à sa façon.“
On retrouve les thèmes chers à Damien Chazelle : la course à la réussite, l’accomplissement de ses rêves, de choses grandiose, au prix de terribles sacrifices. Encore une fois, je suis passé par toutes les émotions dans une salle de cinéma : épuisé, troublé, fasciné, émerveillé, amusé, heureux, ému… Encore une fois, je suis sorti changé d’une salle de cinéma, avec un petit air de Justin Hurwitz dans la tête. Merci à tous les artistes qui ont contribué à ce film, même s’il a fait un bide, même si beaucoup vont l’oublier, vous oublier. Même si moi-même je vais être oublié. La magie du cinéma reste.
