La démolition d’un couple
Après le meurtre de son chat, Julien quitte le domicile conjugal pour aller se réfugier chez son ancienne maîtresse (Annie Cordy) qui tient un hôtel. Elle lui donne une chambre le temps que les choses s’apaisent. La solitude se creuse dans le coeur de Clémence, elle va jusqu’à l’attendre à la sortie de l’hôtel pour le suivre dans ses promenades. Pas de mots échangés, juste le fait de se voir et d’être dans un même lieu. Julien l’ignore et Clémence ne cesse de le regarder. Tentant vainement d’attirer son attention, elle court après lui comme elle le faisait au début du film. Mais le résultat est toujours le même: la porte lui est claquée au nez. Pourtant, il l’appelle. Laissant le silence s’installer au bout du fil, veut-il seulement l’embêter ou juste savoir si elle va bien?
A l’image du couple, le quartier de Courbevoie, dans lequel ils se sont aimés toute leur vie durant, est en train d’être détruit. Les allers-retours de la boule de démolition, qui s’abat sur les murs des maisons, rappelle le balancier des horloges comtoises. Cette analogie soumet que le temps a brisé le couple comme on fracasse les murs d’un chantier. Seule maison encore débout dans ce quartier de ruines, l’habitation des Bouin est la dernière à abattre. Plusieurs avis d’expropriation sont reçus par Clémence qui voit le dernier comme une opportunité de faire réagir son mari sur l’urgence de s’aimer encore. Pourtant, il lui écrit en bas de l’acte « tant mieux ». Heureux de cette séparation contrainte ou de raser son passé, la posture de Julien exprime de l’indifférence face à la situation. Le mal-être de sa femme, comme la destruction de son histoire, ne semble être qu’un détail.
Des mots aux maux
Le mutisme volontaire de Julien, après la mort du chat, le conduit à utiliser de petits bouts de papier pour communiquer avec Clémence. Ces mots dénués d’affection sont du chagrin accumulé qu’elle noie chaque jour dans l’alcool. Dès lors, chaque verre que Julien voyait comme une preuve de tendresse (« j’aime bien quand t’as bu ça te rend amoureuse ») devient une cause d’angoisse (« j’ai peur qu’elle boive »). Ils sont la preuve de l’autodestruction de Clémence cherchant à oublier. Paradoxalement, elle ne sait pas qu’en buvant à outrance elle retrouve le côté prévenant de son mari, et donc un peu de cet amour perdu. Néanmoins, le silence, comme les mots prononcés, deviennent des balles de révolver qui la transpercent, accentuant ses maux.
Personnage tragique par excellence, Clémence souffre de problèmes cardiaques en plus de son chagrin. Ironie du sort ou message caché, c’est donc bien du coeur qu’elle souffre, tant médicalement que psychiquement. C’est d’ailleurs en relisant les papiers de Julien qu’elle mourra emportée par des maux de coeur. Stockant les billets que son mari lui jette dans un petit coffre, c’est en constatant l’absence d’amour qu’ils contiennent qu’elle tombe à la renverse le coeur serré. Si cette boîte témoigne de son intimité et de son intériorité la plus profonde (cf. Following, le suiveur de Christopher Nolan), elle expose le vide de sa vie et le non-sens qu’il y a à continuer.
Emportant une lampe dans sa chute, c’est par l’explosion de celle-ci que Julien se retourne dans sa fuite du domicile conjugal. La scène de découverte du corps de Clémence inerte est bouleversante par le désespoir palpable de Julien. Après un chat tué pour trop de mots d’amour, voilà une femme qui disparaît pour ne pas en avoir assez reçu. Lui qui avait dit à Clémence de se suicider, va à la salle de bain et prend quelques pilules pour s’endormir dans le fauteuil auprès d’elle. Le son de l’ambulance retentit. La fin du film se termine sur la mort de Julien dont « le coeur a lâché ». Ainsi, l’un comme l’autre sont morts d’un coeur défaillant, dans une atmosphère où l’amour ne savait plus se dire. Chacun ne pouvait pas exister sans l’autre et si Julien avait survécu à la vieillesse il ne pouvait survivre au décès de l’être aimé. Ces deux coeurs défaillants s’étaient aimés, s’étaient faits face et avaient succombé ensemble. Leur amour pourrait alors se définir comme celui de Mathilde Bauchard (Fanny Ardant) et Bernard Coudray (Gérard Depardieu) dans La femme d’à côté (François Truffaut, 1981):
Ni avec toi, ni sans toi.
La femme d’à côté, François Truffaut, 1981
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