Le film le plus analysé de l’histoire du cinéma
Quinze ans après sa sortie, il est possible de faire un bilan. La réception globale du film fut non seulement très bonne en Europe et aux U.S.A., mais Mulholland Drive est, de tous les films de Lynch, celui qui a suscité le plus de commentaires, d’interprétations, d’analyses. Sa popularité a même dépassé celle des autres opus dans la carrière de l’auteur. Le nombre de livres consacrés à ce seul film avoisine la dizaine dans plusieurs langues et des sites internet développent les théories les plus folles, proposant des galeries de photos, des plans des lieux de tournage, des jeux de pistes, etc. Tout bien considéré, Oblikon se devait de contribuer à la frénésie analytique et je m’y colle avec plaisir.
Mon intention n’est pas de rivaliser avec des « spécialistes », comme ce Français qui se promène « entre l’oeil et la réalité » pendant 400 pages. D’autre part, il existe des sites ou des forums internet très riches en réflexions diverses et en contenu visuel. Et je n’ai pas pris le temps de seulement parcourir les 1796 commentaires sur imdb. Alors ? D’abord une première constatation : l’approche analytique du film est partagée entre deux tendances principales qu’on peut présenter ainsi :
* Le film a de grandes qualités visuelles, esthétiques, car c’est l’ œuvre d’un plasticien, d’un artiste complet plus que d’un cinéaste. Tout se passe, pendant la projection, comme si nous comprenions le déroulement de l’histoire. Mais lorsque, après la projection, nous voulons reconstituer les éléments et tout ajuster, nous n’y parvenons pas. Une reconstitution partielle est seulement possible par les correspondances visuelles, les lois du contraste comme en peinture. Il est donc vain de s’attacher au scénario et au sens. Comme dans un rêve, il y a un récit apparemment cohérent mais, au réveil, la cohérence s’évanouit et l’on réalise que des personnages différents ont fusionné dans le déroulement du rêve (pour créer Betty /Diane notamment). Tout se dissout après l’illusion magistrale du spectacle offert par Lynch. Mulholland Drive est une œuvre d’art bluffante qui ouvre des pistes qui ne conduisent nulle part, esquisse des intrigues pour ne pas les développer. Heureusement, nous sommes des petits malins et avons compris qu’il n’y a rien à comprendre.
* Le film raconte une histoire, et même des histoires, au moins deux, ou plutôt deux versions différentes d’une même histoire. Les identités sont en effet brouillées mais jamais gratuitement et, surtout, il est possible de rétablir la continuité des événements car toutes les scènes, même les plus bizarres ou digressives, font sens. Le scénario est très rigoureux et la mise à plat des séquences permet de toutes les ajuster et les éclairer les unes par rapport aux autres. La clé pour décoder le film nous fait passer par la boite de transfert. Une fois de l’autre côté, la dimension obscure du sens se dissipe devant la dimension lumineuse. Nous ne sommes plus les petits malins s’extasiant devant le côté arty du film, mais des spectateurs régénérés par le goût de l’analyse. Bien sûr, nous devons nous laisser guider et jouer le jeu du fascinateur. Mais le film lance aussi un défi au spectateur éveillé : celui de son interprétation et du pourquoi d’un brouillage nécessaire.
Je me situe dans la deuxième tendance. J’ai la conviction que MD est un film très écrit, parfaitement cohérent et que TOUT peut s’expliquer, sans négliger la part de mystère irréductible à ce genre d’exercice. Ce qui ne veut pas dire quelqu’un y soit vraiment parvenu ou y parvienne un jour. Et pourtant, il est nécessaire de recoller les morceaux et résoudre l’énigme du sphinx.
Décrire, c’est comprendre
Je ne tenterai pas la mission impossible de « résumer » MD, ce qui ne veut rien dire. Il faut simplement décrire ce que l’on voit en soulignant au fur et à mesure les correspondances et les oppositions. Ce double jeu permanent libère le sens, prisonnier des images énigmatiques et généré par leur entrelacs. Il est possible d’établir la carte d’un récit parfaitement lisible, au-delà de la vraisemblance et du réalisme.
L’ordre des séquences ci-dessous permet de comprendre le film mais il n’est pas immuable car la continuité d’événements n’est pas une contrainte absolue. Certaines des séquences peuvent être interverties, d’autres pas. Aucune n’est vagabonde, ne peut passer d’une version à l’autre. Tous les personnages sont redéfinis de l’une à l’autre, sauf le cowboy (figure du sphinx, plus pétrifiée que le visage de William Hart).
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