Double version inversée
Je n’ai pas intégré dans ce descriptif les séquences ou les plans que l’on pourrait qualifier de « célestes ». Le concours de danse (Jitterbug) ouvre le film et montre en boucle une série de danseurs dans un espace aérien qui apparaissent et disparaissent. Puis en surimpression les visages blancs de Betty et du couple âgé. Les visages de Betty et Rita réapparaîtront à plusieurs reprises dans le ciel d’ Hollywood, illuminant la nuit comme des anges gardiens. La beauté des ces images suggère assez que nous avons affaire à des êtres irréels, presque immatériels, peut-être déjà morts et hantant le bois sacré (Holly Wood) des collines encore sauvage de Mulholland Drive. Mais la théorie des fantômes n’est pas entièrement satisfaisante. Je préfère celle de la fiction (cinématographique) et de la double version inversée en boucle. La version 2 précède la version 1 et, à chaque mort des deux héroïnes, l’autre version recommence. A cause de l’inversion initiale, on ne peut sortir de la boucle. De ce point de vue, tout le film n’est qu’un long développement narratif de la séquence pré-générique qui contient les rêves de l’insouciante danseuse (devenir une étoile). A la fin la version 2, l’aspirante actrice disparaît étrangement sans être aspirée par la boite puisque Rita ne l’a pas encore ouverte. Je n’ai pas d’explication certaine. Sinon peut-être que le suicide de Diane accélère la transition. Le transfert par la boite est réservé à Rita. Revoir le film, c’est épouser son processus qui inclut la vision du spectateur, donc l’aimer davantage (ou s’en dégoûter peut-être).
Mimétisme et répétition
Certaines séquences qui paraissent secondaires ou marginales à la première vision sont en fait très importantes, comme celle du tueur maladroit ou celle de Dan et du clochard au Winkie’s. Quelques séquences sont tout de même secondaires et pourraient être retirées sans nuire à la cohérence de l’ensemble. C’est le cas, par exemple, de la scène du Pink’s (que je n’ai pas intégré) où l’on voit Laney une prostituée blonde très aguichante. Cette jeune personne est une copie de Betty et lui ressemble jusque dans le vêtement. Elle en fait un peu trop avec un client, comme Betty en fait un peu trop à l’audition, à cette différence que Betty reste à la limite et que sa prestation est plus sublime que ridicule, tandis que celle de Laney vire à la caricature. C’est une Betty plus vulgaire que Lynch nous présente en passant. Comme il nous montre, avec la Camilla blonde de l’audition des chanteuses, une Camilla de remplacement pour Adam (mais une Camilla qui ressemble à Betty, comme quand Rita se met une perruque blonde). Laney comme la Camilla blonde sont très sexy l’une et l’autre ; ce sont des Betty crédibles.
La contamination du personnage de Betty / Diane sur beaucoup d’autres s’explique par le fait que Betty peut être perçue comme le fantasme de Diane avant sa mort. Cependant, Diane ne fantasme vraiment qu’en se masturbant (et encore, ce n’est pas très concluant, plutôt frustrant et douloureux). C’est pourquoi je ne privilégie pas la théorie du rêve, malgré le plan du lit de la dormeuse au début et la phrase du cowboy. Parlons plutôt de contagion mimétique, de retour hallucinatoire du même. Betty ressemble à Diane lorsqu’elle répète sa scène avec Rita car elle est en colère. Rita ressemble à Betty lorsqu’elle porte une perruque blonde juste avant l’étreinte, ce qui donne à la scène d’amour une forte connotation narcissique. La Camilla Rhodes blonde et Laney ressemblent aussi à Betty. Rita pense être Diane pendant l’enquête sur son identité perdue. La serveuse du Winkie’s s’appelle Betty, puis Diane. Et même le cadavre et le monstre sont reliés à Betty comme je l’ai expliqué.
Hyperréalisme
Rita / Camilla garde son statut iconique de star, distante et mystérieuse, même dans la version 1. Quand, en grande cape, elle guide – telle une prêtresse – la victime Diane vers le domaine des dieux, ce n’est pas une scène « réaliste ». On pense plutôt à un film fantastique.
Quand Adam annonce ses fiançailles avec Camilla, il n’y a pas de quoi rire, même pour humilier Diane. La fête près de la piscine est donc proche de la vision subjective, très déformante. C’est Diane qui perçoit les autres comme des êtres pervers, plus pervers qu’ils ne le sont en réalité. Il n’est pas prouvé que Camilla soit très mauvaise puisqu’elle a tout de même aidé Diane à débuter. La version 1 n’est pas la « réalité » opposée au « rêve » de la la version 2. Les deux versions sont bien les variantes possibles d’une même histoire dont les points communs, dans le traitement hyperréaliste de l’image et le goût du contraste, sont évidents. David Lynch est aux commandes du buggy et il ne peut y avoir qu’un seul conducteur pour les deux trajets.
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