FENCES de Denzel Washington

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Denzel Washington signe, avec Fences, son troisième long-métrage en tant que réalisateur après The Great Debaters, qui peignait également une ébauche de la condition afro-américaine dans les années 30. Adapté de la célèbre pièce de théâtre d’August Wilson, elle-même récompensée du prix Pullitzer en 1987, Fences est un film fait “avec les tripes”. Ce rôle d’un père afro-américain, issu de la classe moyenne, pendant les années 50, est endossé par un Denzel Washington troublant et poignant à la fois. Un rôle en or qu’il porte avec une grande ferveur, en multipliant plusieurs palettes de tonalités, aussi justement jouées les unes que les autres. Sa performance, ainsi que celle de sa partenaire dans le film, l’excellente Viola Davis, qui a d’ailleurs reçu un golden Globes bien mérité,  lui aura valu une nomination à l’Oscar 2017..

Synopsis

Dans les années 1950, à Pittsburg, Troy Maxson, ancien joueur de la Negro League de baseball, est devenu éboueur. Il vit aujourd’hui avec son épouse Rose, son fils Cory et son jeune frère Gabriel, ancien soldat handicapé suite à une blessure à la tête.

Critique

Dès le début du film, Denzel Washington nous prend par surprise en nous introduisant à un protagoniste (Troy Maxson aka lui-même) dont le débit de paroles, vocalement fort et discontinu, retient et détient l’attention. L’acteur a le verbe haut et fort. Il domine tout le monde par son temps de parole et par sa présence, ne laissant pas même leur place aux membres de sa propres famille. En vampirisant tout sur son passage, Denzel détient une attention physique (il est imposant, baraqué) et verbale.

Ce désir volontaire ou involontaire lui vient probablement de cette enfance difficile qu’il mentionne rapidement à un moment expédié, mais fort du film. Troy craignait son père et vivait dans la misère. C’est à 14 ans, à bout de souffle, qu’il décide de quitter sa famille et de se débrouiller seul. C’est depuis ce moment tragique de sa vie qu’il fait face à une adversité quotidienne. La vie ne lui a laissé d’autre choix que cet amer goût de “réussite”. C’est la loi de la survie ou de la mort.

Il paraît important de relever, dans ce film, l’importance liée à la  notion de survie. Ce n’est pas un éloge de la vie dont il est question; Troy insiste encore et toujours sur la notion, non pas de vivre une vie, mais de survivre à des obstacles. Il souhaite tellement en découdre contre la mort qu’elle finira, de toute façon, par avoir raison de lui, après une lutte sans merci.

La relation qu’entretient Troy avec les membres de sa famille est également complexe et paraît peu évidente. Son amour pour chacun d’eux n’est malheureusement pas apparent et pourtant tellement présent. Encore une fois, il ne semble y avoir qu’une seule chose qui compte pour lui: la survie. Il n’est plus question de victoire sur un passé douloureux et de montrer qu’il en veut. Troy est épuisé; épuisé des déceptions, des grands discours humanistes, des promesses d’un monde meilleur. C’est une personne sceptique et désillusionnée qui, en menant la vie dure à son fils, le protège de toutes ces espérances véritablement.

L’amour qu’il porte à son fils n’a pas à être montré émotivement puisque la preuve ultime de cet amour réside dans (l’évident) devoir matériel: il nourrit et loge son fils, donc par une équation qui n’est propre qu’à lui-même, il l’aime. Il a des mots durs avec ses deux fils: l’un trentenaire, marié rêve de devenir musicien depuis son enfance, mais ne perce pas; l’autre, étudiant sur le point de pouvoir réaliser une carrière plus que prometteuse dans le monde du Baseball. Troy a des mots durs avec ses deux fils et les assume. Le reste ne l’intéresse pas; ni les prestations artistiques de son aîné, ni les souhaits sportifs de son cadet.

Il règne une ambiance de rigidité au sein de cette famille, bien que l’on puisse compter sur deux personnes de l’entourage de Troy pour adoucir ce climat pesant: son ami d’enfance, avec qui il a partagé des années de prison, soit dit en passant. Celui-ci essaie de le tempérer au mieux, il permet à Troy de se détendre, notamment tous les vendredi soir, après une journée pénible à travailler en tant qu’éboueur. Donc la seule véritable amitié de Troy, tout au long de sa vie, s’est également faîte dans un contexte de misère et de galères. En effet, le principal leitmotiv retenu tout au long du film, c’est qu’il faut travailler pour vivre, pour survivre même. Pas besoin de rêves ni d’illusions, ce qui paie, c’est du concret pour Troy.

Viola Davis, qui incarne l’épouse de Troy dans le film, donne dans avec Fences, une sublime performance et juste. Elle joue la mère de famille aimante, femme forte, mais aussi victime des actes de son époux et du silence pesant des années qui la a peu à peu séparé. Elle est le personnage qui centralise l’amour, pour toute la famille, que ce soit: les deux frères, le beau-frère malade, et bien entendu, son mari. Elle représente l’encrage de toute cette famille de révoltés par la vie.

Elle est Amour et Patience, lorsque son époux n’est que Désillusion et Morosité. Nous nous rendons compte également que Troy entrevoit une éclaircie lorsqu’il a rencontré sa femme, à la suite d’années de galères. Et finalement, même avec sa femme, il se rend compte qu’il est entré dans une routine: travail, factures, faire l’amour une fois par semaine, mécaniquement,..

C’est un ersatz de bonheur. Il a donc mené une double vie, en parallèle. C’est grâce à son ami de toujours qu’il a finalement pu l’avouer à sa femme. Ce qui déclenchera, une remise en question du couple et pour une fois, l’épouse prend le dessus et s’exprimera sur ses sentiments. Elle a la parole, elle en profite et déverse tout ce qu’elle a enfoui, depuis ses 18 ans de mariage. Au fond, Fences pose également la question fondamentale du bonheur.  C’est lors de ses obsèques, qu’ils réaliseront finalement, l’ambiguïté de ce personnage. Tout n’est pas si manichéen.

 

Fences n’est pas un film fait pour plaire à tout le monde, et, il faut bien admettre qu’il réussit, à moitié, son pari. Le film irrite en mettant en avant une figure paternelle bien trop égocentrique, et nous ne pouvons, pourtant, nous empêcher de relever la performance d’un Denzel Washington que l’on ne connaissait pas ainsi. Un petit bijou, qu’il faut, néanmoins, apprendre à tailler.

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