Les Garçons sauvages (2016)
« Une prof de lettres est violée sauvagement par ses élèves portant des masques. Au procès, ils cherchent à se justifier en calomniant leur victime. Condamnés au bagne, ils sont pris en charge par un capitaine rééducateur mais le bateau fait naufrage sur une île où d’étranges événements se produisent ».
L’espace du voilier et son environnement (un océan en bocal) est tellement confiné que les adolescents sont déjà en prison et attachés comme des bêtes. Le capitaine, à l’accent flamand, les nourrit avec des fruits poilus répugnants et jette leurs livres à la mer. « Si tu as besoin de lecture, tu n’as qu’à venir me voir » commente-t-il en exhibant son sexe tatoué de textes. Son cadavre empalé se retrouvera sur le rivage avec un pieu ressortant au niveau du bas-ventre. Dès l’ouverture, le parti pris esthétisant du film est poussé si loin que la violence ou la vulgarité des situations sont désamorcées. Bien que les extérieurs soient tournés dans l’île de la Réunion, Bertrand Mandico ne s’attarde jamais sur les paysages. La nature est grandiose mais étriquée et comme artificielle, même lorsque les prises de vues sont réelles. L’exotisme est tourné vers l’intérieur.
Les garçons, habillés et coiffés à l’identique, apparaissent comme des êtres peu individués. L’effet de groupe est privilégié dans la scène du viol et dans celle de l’orgie mimée sur la plage, sous l’avalanche de plumes. La transformation des garçons en filles n’est jamais l’occasion d’un strip-tease où la découverte progressive du corps féminin serait mise en scène comme une métamorphose. Les seins poussent d’un coup, en même temps que les couilles tombent, littéralement. On suggère bien qu’il y a des ratés de la transformation mais on ne verra pas de freaks, rien que des « garçons » mutés en amazones. L’île luxuriante n’est pas un espace de liberté, de salut par le genre, mais une « huître », donc un être vivant invertébré dont la coquille se referme, tandis que le visage du capitaine se confond avec le flanc de la colline.
Il n’y a pas de scènes érotiques à proprement parler impliquant les garçons/filles. C’est plutôt le film en lui-même qui est « érotique » au sens où il constitue un objet filmique érotisé mais mal identifié. « L’odeur de la pellicule et la caméra mécanique me mettent en un état second » confie le réalisateur. L’ensemble de son œuvre, déjà abondante, constitue un corpus cinématographique dont chaque film (court ou long métrage) serait un organe distinct. La végétation est sexuée avec des arbres aux fruits phalliques qui donnent à boire un jus laiteux, d’autres offrant des sortes de mangues vaginales ou l’enveloppe soyeuse d’un cocon. Les racines enlacent comme des jambes et les brèves séquences couleur sont décrites comme des « montées de sève » dans un univers en noir&blanc. Le passage à la couleur étant imprévisible, sans rapport avec une progression dramatique, orgasmes et climax flottent d’une séquence à l’autre, en état d’apesanteur.
Mandico vient de l’animation. Il aime un cinéma de surface, non pas léché mais rafistolé en diable : dessins, collages, procédés de trucage et aussi toute la magie du muet à la Méliès avec ses trucs, ses postiches. Il multiplie surimpressions, rétroprojections. Son noir&blanc est très contrasté, granuleux. Les images sont montées sans le son ; musique, bruitage et texte (difficilement audible) sont conçus après coup, avec de nombreuses pistes sonores et des dialogues tous postsynchronisés.
La référence à Jules Verne voudrait surtout nous convaincre que le réalisateur s’est lui-même lancé dans l’aventure en racontant une histoire. Évidemment, le récit serait avantageusement déviant et, malgré des panachages douteux, irait à bon port. Mais il y a en fait relativement peu de surprises narratives. La longue séquence sur le bateau est assez statique et répétitive. Les péripéties sont celles des corps dans leur dimension impersonnelle et non celles de personnages d’un film de genre traditionnel. Le genre (mélodrame, aventure, érotisme, fantastique) est au contraire transgressé en permanence. Le cinéaste est moins concerné par la fluidité des genres qu’il digère que par une forme d’hybridation : animal/végétal, masculin/féminin, n&b/couleur. Elina Löwensohn (la « perle » de l’huître) endosse le rôle d’un Dr Moreau butch. La crise d’identité que traversent les personnages est peut-être la punition d’un fatum carcéral, avec la voix rauque emblématique de Pauline Lorillard ; elle est surtout celle d’un cinéma d” « art et essai » qui voudrait devenir culte, grand public. S’agit-il d’une fantaisie queer au maniérisme assumé, sans armature narrative (la masse viscérale de l’huître est molle) ou d’un conte fantasmagorique et lyrique prétextant délivrer un message (voix off, conseil aux « demoiselles ») ? En tout cas, Mandico semble bien avoir eu l’intention de réaliser un long métrage de fiction. En dilatant un court ?
La matière du rêve est souvent banale et c’est l’agencement des séquences, dont l ‘incohérence apparaît au réveil, qui fait la texture des songes, bien davantage que certains détails inquiétants et superbes, comme ce crâne endiamanté qui grossit ou cette chimère nocturne aux yeux flamboyants. De ce point de vue, Mulholland Drive de David Lynch est incomparablement supérieur à Eraserhead, par exemple. La beauté visuelle des Garçons sauvages risque d’être un piège pour le cinéma de Mandico car, passée la première demi-heure, ce film chatoyant et sombre, bricolé et inspiré, peine à suggérer l’épaisseur de la fable, même détournée, masquée ou corrompue. « Je voue un culte au dieu cinéma » déclare Mandico, « le tournage est mon rite. Je travaille sur la pulsion de tournage ». Mais la transe qui caractérise l’état second est-elle partagée par le spectateur dans son fauteuil ?
L’image Super 16 apparaît avec des angles arrondis dans un format numérique qui le comprime et l’aplatit. Aucune incrustation numérique ne vient en principe polluer la pureté chimique de l’argentique. Cependant la divinité cachée de l’île ne pourra se manifester au spectateur qu’au moment magique où la pellicule 16mm se déroulera dans le projecteur. Hélas, toutes les copies expédiées en avant-première, sont numériques. Le rite cesse d’être opératoire au présent, pour des raisons extrinsèques à la qualité de l’œuvre.
https://oblikon.net/critiques/etrangefestival2017-garcons-sauvages-de-bertrand-mandico/
Critique beaucoup plus constructive et inspirée d’Antoine Godbillon. Ici la pseudo analyse argentique sert de prétexte pour produire une papier incompréhensible et bêtement agacé.
Bon article mais trop indulgent avec Mandico, esthète qui joue au grand artiste. Attendons la sortie pour voir les réactions
Rémi Lafeuille a raison : un film tourné sur pellicule devrait être projeté au moins dans UNE salle équipée. Il y a une tyrannie du tout numérique. Quant au cinéma de Mandico, c’est surtout de la poudre aux yeux pour les snobs parisiens et les festivaliers. Mais je parle des courts car je n’ai pas vu le long. Lafeuille m’en donne envie. Merci pour cette belle analyse.
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