Critique de L’île aux chiens de Wes Anderson

Avec L’île aux chiens, Wes Anderson nous offre, après The Grand Budapest Hotel, une œuvre atypique tout en stop-motion, une merveilleuse fable politique à l’humour mordant et décalé, aux niveaux de lecture multiples, contrebalancé par un onirisme réconfortant et un visuel exquis fourmillant de détails et de créativité, faisant de chaque plan une véritable peinture d’art moderne, d’hommages à la culture japonaise, noué d’un discours sublime sur le rapport à l’Autre et l’appréhension de notre propre corps et identité.

Synopsis

Suite à une épidémie de grippe canine, le maire de Megasaki ordonne la mise en quarantaine de tous les chiens de la ville, envoyés sur une île appelée l’Île Poubelle, une vaste déchetterie aux émanations toxiques. Atari, un petit garçon de 12 ans, se rend sur l’île à la recherche de son chien, Spots. Il est aidé par une bande de cinq chiens aux personnalités différentes. Au cœur de l’île, il découvre qu’une conspiration menace toute la ville.

Critique de L’île aux chiens

Un travail d’orfèvre

Avec L’île aux chiens, Wes Anderson nous offre un objet cinématographique original, avec un long métrage tout en stop-motion, premier né de l’histoire du cinéma. Cet écrin luxueux, ouvragé et atypique, souligne et sublime l’excentricité du cinéaste, mais aussi son audace. Les cadres et les compositions sont si travaillées que chaque plan semble être une peinture. A sa manière, Wes Anderson et son équipe récréent l’histoire des hommes jusque dans leurs origines : la séquence d’ouverture s’inspire notamment des travaux de Jérôme Bosch (voir ci dessous, deuxième photo), et de sa fameuse peinture à huile Le Jardin des Délices, appartenant à la période des Primitifs Flamands. Le cinéaste réinvente donc l’histoire des hommes, la replaçant par celle des chiens, et s’érige ainsi en véritable esthète et symboliste, éparpillant ses symboles comme autant de pièces d’or qu’on s’empresse de trouver, et de contempler. Ce travail titanesque est sublimé par la photographie lustrée, nappée d’un glaçage qui donne corps aux pelages satinés de ces toutous qu’on adore : fruit du travail de Tristan Oliver, le chef-opérateur, qui donne vie à ces chiens parlants, et les rend presque palpables – vie qui s’incarne aussi à travers la parfaite interprétation des comédiens, parmi lesquels nous retrouvons Bryan Cranston dans le rôle de Chief, ou encore Bill Murray (Boss).

Philologie et expression : des visages et des langages

Avec L’île aux chiens, Wes Anderson étudie le rapport à l’Autre par le biais de la philologie, c’est-à-dire de l’étude du langage. Le don de la parole provoque un renversement des valeurs : ici, les humains ont oublié leur humanité, contrairement aux chiens, qui arrivent, malgré des conditions de vie difficiles sur l’île poubelle, à vivre en communauté. Grâce au langage, Chief, Atari, Rex, King et Boss expriment plus de nuances et de profondeur que leurs confrères humains. Le film est une aventure de bande, qui dans ses hommages au ciné gangster résonne avec Reservoir Dogs, car oui, chaque toutou a son « blaze », et ces derniers, bien qu’attendrissants, ne se privent pas de montrer les crocs pour se défendre. L’île aux chiens est une œuvre constellée de visages, d’expressions patentes confinant à la comédie burlesque (de nombreux allers-retours sur les visages des chiens donnant un aspect anthropomorphique) qu’on en oublie, au fur et à mesure, la race à laquelle ils appartiennent, et ainsi, Wes Anderson déploie une merveilleuse ode à la tolérance puisant sa sève dans les plaidoyers de défense animale.

Lettre d’amour nippone

L’île aux chiens est immanquablement une immense lettre d’amour à la culture japonaise, et abonde de détails et d’hommages bien pensés. Dès lors, il est regrettable d’observer tant de voix s’ériger contre le parti pris du cinéaste et sa représentation du Japon, certains critiques sanctionnant un « stéréotype racial », du fait que les japonais dépeints ne cessent d’hausser la voix. Il ne s’agit pourtant pas d’une caricature grossière, puisque le cinéaste ne se limite pas aux japonais et accentue tous les idiomes de langage et les expressions, ornant son œuvre de ce côté si décalé et rafraichissant. Le dandy américain va plus loin, et ne manque pas de diffuser ça et là son amour pour le pays du soleil levant : en premier lieu sur le plan pictural, certaines séquences étant de véritables peintures au lavis, tradition ancestrale consistant à n’utiliser qu’une seule couleur diluée formant un dégradé, et la peinture de lettrés (style de peinture d’origine chinoise, reprise ensuite par les japonais), dont s’inspire une fois de plus le cinéaste pour ses compositions, à travers de magnifiques estampes japonaises (sans oublier les haïkus). Si la dystopie a lieu dans la ville japonaise de Megasaki, bien qu’elle puisse faire référence à Nagasaki (et aux bombardements), elle pourrait tout aussi bien avoir lieu ailleurs, étant donné que cette fable éminemment politique dénonce aussi bien les flux de migrations forcés que les sociétés totalitaires, qui fourmillent de par le monde.

 

 

 

 

 

 

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