Critique de Suspiria, Luca Guadagnino

Suspiria

Le tumulte des cris, une capitale ruisselante. La scène d’exposition de Suspiria, version Guadagnino, n’est pas celle d’un ballet dansant, puisqu’elle nous propulse au cœur du Berlin divisé de 1977, où résonnent les plaintes des Berlinois excédés par la passivité des pouvoirs publics et leur « rideau de fer », symbole d’un pays au bord de l’implosion. Avec une esthétique aussi blême que les bâtiments de la RDA, le cinéaste propose un opéra-comique en six actes, qu’on qualifierait de comédie bouffonne si l’on s’en tenait au dernier.

suspiria

 

Un opéra-comique

Dès les premières minutes, à grand renfort de volonté vorace, il expose cette envie de « faire œuvre », de marquer les esprits en s’affranchissant des codes du Suspiria original, dans le geste attendrissant d’un fanboy désireux de plaire à une icône du cinéma d’horreur. Malheureusement, la superposition des actes n’a rien de la virtuosité du contrepoint, et plutôt que de créer une harmonie, elle donne au long-métrage un côté fourre-tout, hasardeux, à la hauteur d’un réalisateur dépassé par son ambition. Plusieurs semaines après la séance, il est difficile de donner un sens aux mouvements dramatiques qui composent ce qu’il définit comme un « mélodrame » : L’Acte 1, le Berlin divisé ; l’Acte 2, Palaces of Tears ; l’Acte 3, Borrowing (L’emprunt) ; l’Acte 4, Taking (Prise) ; l’Acte 5, Mutterhaus (Tous les étages sont ténèbres) et enfin l’Acte 6, Suspirorium, comme autant de noms jetés aux quatre vents sans aucune justification. De même, il ne parvient pas à conjuguer l’horreur et la danse (l’effusion de chair et de sang n’étant pas synonymes de sensualité) alors que l’essence même de Suspiria est celle du mystère féminin (tel qu’il fût condamné par Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe). Le dévouement de Dakota Johnson est certes plaisant à voir, mais dispensable.

Entre renouvellement et nanar

Approfondissant la backstory initiale des personnages, Susie Bannion est à présent une immigrée fraichement débarquée de l’Ohio, où elle vivait recluse dans une communauté mennonite, qui rappelons-le, est un mouvement chrétien anabaptiste et borderline sectaire. Elle débarque à l’Académie Markos, des étoiles dans les yeux, des rêves plein la tête, aidés par la douce candeur des traits caressants de l’actrice principale. Sa progression s’apparente à une élévation, celle-ci ne se heurtant jamais à un conflit ou à une perte d’illusions, comme l’on observe communément au sein de la dramaturgie classique. Si ce parti-pris donne au long-métrage un côté aussi singulier que séduisant, la surenchère d’effets visuels et de soubresauts narratifs dans le dernier quart d’heure fait basculer l’ensemble dans le nanar, le plus grotesque étant sans doute cette conclusion ratée et les analogies grossières entre sorcières berlinoises et cul-terreux de l’Ohio.

Quel intérêt y-a-t-il à comparer les dissensions des mormons et mennonites avec celles des markosistes et blancites ? Et sans le dire, de la RDA et la RFA ? La question reste ouverte, même si, au regard de la filmographie du cinéaste, il est apparent que Suspiria est un long-métrage sur le poids de l’héritage familial, qui étend son propos à l’étude des civilisations humaines caractérisées par leur propension à la violence, que celle-ci soit au grand jour (les bombes, les manifestations) ou déguisée (comme à l’Académie).

suspiria-remake-luca-guadagnino-dakota-johnson

La famille : une thématique centrale

Dans Call me by your name, la famille est l’épicentre : c’est par celle-ci que se forment toutes relations. En dehors, il n’y en a pas. Dans A Bigger Splash, les rivalités au sein d’une famille éphémère culminent jusqu’au point du meurtre. Enfin, dans Suspiria, le foyer, comme le Berlin divisé, est victime des méfaits de la mère et du IIIème Reich (encore une fois, le parallèle manque franchement de finesse), avec une passation de pouvoirs palingénésique, qui pour la jeune femme et le pays (la chute prochaine du Mur de Berlin) prend la forme d’un monde nouveau. Comme quoi, à vouloir faire trop original, arty, et étriqué, Luca Guadagnino oublie ce qu’il y a de plus important pour le spectateur, c’est-à-dire l’émotion.

 

Total
9
Partages
2 commentaires
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Article précédent
Emile_Cohl

Emile Cohl, l’inventeur du dessin animé à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

Article suivant
venom_affiche

VENOM: Critique d’un buddy movie qui s’ignore

Articles sur le même sujet