Sternberg à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé du 25 septembre au 18 octobre

Le parcours de Sternberg présente beaucoup de ressemblances avec celui de Stroheim. Tous deux sont juifs d’origine viennoise, affligés de la bougeotte compulsive qui les fait s’exiler vers le Nouveau Monde et d’un culot très payant pour leurs vanités respectives : tout d’abord se prendre et se faire passer pour des aristocrates européens grand style en ajoutant une particule à leurs patronymes, ensuite adopter au quotidien des accessoires (monocle, badine) et des postures directement issus du monde du spectacle, se tracer à force de publicité un destin de « grand artiste » – de préférence maudit et marginal – et bien sûr acquérir la fortune et la gloire à laquelle on a droit quant on est forcément « génial » puisque c’est écrit dans le dernier numéro de Photoplay ou de Variety.

Ces considérations mises à part, quelle réception peuvent trouver aujourd’hui les films muets de Sternberg qui fut complaisamment encensé par les plumitifs au fil des décennies et que l’on peut revoir aujourd’hui à la Fondation Pathé ?

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La genèse du film de gangster

Les historiens admettent généralement que Underworld (1927) marquerait la naissance d’un nouveau genre promis à un grand avenir : le film de gangster. Il n’en est rien.

Plusieurs films américains sont réalisés dans les années dix et vingt qui mettent en scène des gangsters et souvent dans un contexte beaucoup plus réaliste et moderne qu’avec Sternberg. Sans doute, les rivalités entre gangs dans The Musketeers of Pig Alley (1912, D. W. Griffith) et The Gangsters and the Girl (1914, Scott Sidney) se limitent à des questions de voisinage et le ressort des mauvaises actions est souvent individuel. Mais – la même année – James Kirkwood n’hésite pas, avec The Gangsters of New York (1914), à dénoncer les connivences entre malfrats et fonctionnaires d’Etat. Désormais, les méchants n’agissent plus pour leur propre compte mais de façon concertée avec les forces de l’ordre : police corrompue, politiciens véreux, « contrats » fatals sur les concurrents, etc. De plus, le souci d’authenticité oblige souvent les réalisateurs qui veulent tourner sur place à négocier avec les chefs de gangs les autorisations pour filmer dans la rue ; c’est pourquoi de vrais gangsters apparaissent parfois comme figurants ou acteurs occasionnels dans les bandes des années dix. Par contre, la violence barbare allant parfois jusqu’à la torture est édulcorée pour ne pas choquer outre mesure le spectateur. Dans Regeneration (1915, Raoul Walsh) un gangster de cinéma, illettré mais repenti, apprend à lire et à à écrire grâce à une institutrice dont il tombe amoureux ; il deviendra journaliste comme Jack Rose, gangster dans la vie, deviendra acteur pour The Wages of Sin (1913) et scénariste pour Are They Born or Made ? (1914, Lawrence McGill).

Sternberg qui ne s’est pas documenté sur la réalité de terrain du banditisme, tourne son film entièrement en studio et aucun nom de ville n’apparaît dans les intertitres. George Bancroft se comporte comme un voleur isolé, faisant sauter la banque locale et cambriolant une bijouterie pour offrir une parure à sa petite amie. Bien qu’assisté de lieutenants, il est plus préoccupé de ses affaires de cœur que de s’enrichir par la contrebande ou d’affronter les gangs concurrents. Et quand il tue son rival, c’est encore pour une femme. Aucune allusion à la prohibition ou à d’éventuelles connexions dans la police et la politique. Et pourtant les complices hauts placés étaient toujours  indispensables, comme l’illustre par exemple la louche affaire Rosenthal. En recul par rapport à des films des années antérieures, plus engagés ou plus réalistes, Sternberg privilégie un certain formalisme, heureusement bien maîtrisé et au service d’une histoire convaincante ; cependant le thème banal du « rachat » n’est pas mis en résonance avec l’inattendu salut par le film (ou par la presse) du sinistre Jack Rose qui avait réellement commandité l’assassinat d’un patron de salles de jeux et montrait, par sa reconversion, les passerelles entre deux univers.

Une œuvre trop célèbre et des films perdus

En esthète accompli, Sternberg réalise avec The Docks of New York (1928) son film considéré comme le plus abouti de la période muette. De nombreux travellings, une photo très travaillée et des personnages bien typés ne suffisent pourtant pas à pallier la minceur du scénario. On retiendra la séquence du mariage au cabaret et la profusion de serpentins qui deviendra un tic. La réputation du film vient probablement des poses lascives des actrices et de l’ambiance à la fois capiteuse et frelatée des bouges portuaires. Mais la beauté appuyée des plans est trop artificielle et superficielle pour transmuer cette historiette un peu glauque en miracle de la rédemption par l’amour. 

Sternberg fut l’assistant de l’irlandais Roy William Neill dont le succès des Sherlock Holmes éclipsera une importante carrière muette. Il participe aussi au tournage de The Mystery of the Yellow Room (1919, Emile Chautard) d’après Gaston Leroux, récemment restauré. Un extrait de 6 minutes de The Case of Lena Smith (1929) a été retrouvé par un collectionneur japonais chez un marchand de films à Shanghai. Mais toujours aucune nouvelle du mythique The Sea Gull / Woman of the Sea (1926) à l’exploitation mystérieusement bloquée par Chaplin et dont une copie existerait toujours dans les archives privées. Terminons avec cette anecdote qui voudrait que Sternberg, pressenti pour remonter Children of Divorce (1927, Frank Lloyd), n’accepta qu’à la condition de pouvoir diriger des scènes additionnelles et modifier le scénario. Comme si Frank Lloyd, réalisateur très professionnel de plus de 70 films à la fin du muet, avait besoin des conseils d’un Sternberg. Mais peut-être, de son côté, Stroheim était-il demandeur puisqu’il approuva le nouveau montage de son éléphantesque Wedding March (1928) bien qu’il prétendit le contraire par la suite pour polir son image de victime. Mystificateur hautain d’un côté, cabotin imposteur de l’autre ; c’est bonnet blanc et blanc bonnet au royaume de leurs rêves.

Comment écrire un article sur Sternberg sans jamais citer l’actrice célébrissime qu’il n’a pourtant pas découvert (encore une exagération)  puisqu’elle avait déjà le rôle féminin principal dans Le navire des hommes perdus (1929, Maurice Tourneur) ? En se limitant comme je le fais à la période muette car la salle Pathé est spécialisée dans le cinéma muet même si, parfois, quelques films sonores se glissent subrepticement dans les programmes. J’invite le lecteur à visiter le site internet.

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