Analyse de Psychose d’Alfred Hitchcock

Transgression et féminisme

Ce dépassement des mœurs passe aussi par un féminisme certain. Alfred Hitchcock choisit comme têtes d’affiches des femmes qu’il désire et ne peut avoir. Par conséquent, il a souvent été jugé, à tort, comme un réalisateur misogyne, ce qu’il était peut-être dans la vie, mais pas dans son œuvre. Dans Psychose, il filme la femme comme objet du désir masculin (de même pour Tippy Hedren à travers le male gaze de Sean Connery dans Pas de Printemps pour Marnie). Le désir chez Hitchcock n’est jamais complaisant : il condamne les pressions exercées par la société sur les femmes en faisant de l’environnement un milieu anxiogène. Sur le chemin qui la mène à la mort, Marion ne croise que des hommes : son amant, avec qui elle a un rapport sexuel consentant, puis le client qu’elle vole et qui flirte avec elle alors qu’elle se trouve sur son lieu de travail. Il y a aussi ce policier qui l’arrête et semble troublé (son visage, filmé en très gros plan, envahit le cadre et asphyxie l’héroïne). Enfin, il y a Norman, qui la désire réellement mais ne peut assouvir ses fantasmes qu’en tuant. Ainsi, Marion dessert l’adage : « Les actions ont des conséquences », puisqu’elle est la victime de son temps plutôt que de son fait.

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L’orfèvre

Œuvre matricielle, Psychose marque un tournant dans l’histoire du cinéma. De tous les films d’Alfred Hitchcock, il s’agit du plus structuré, la forme ne prédominant pas sur le fond, mais le sublimant. Le scénario aux petits oignons de Joseph Stefano est empreint de foreshadowings dont le cinéaste est friand, les rustines scénaristiques servant de liant aux arcs dramatiques et enrichissant leur portée émotionnelle. Dès la séquence d’ouverture, Marion prédit sa mort, disant à son amant que son temps est révolu, précisant même que les personnes qui se rencontrent dans les chambres d’hôtel finissent par payer (« When your time is up… » ; « I pay too. They also pay who meet in hotel rooms »). Cette ironie dramatique se manifeste formellement : lorsque Marion arrive au Bates Motel, ses essuie-glaces décrivent des mouvements diagonaux faisant penser aux coups de couteau qu’elle recevra plus tard. Du côté de Norman, il y a cette simple réplique : « Ma mère n’est pas elle-même aujourd’hui ». Effectivement, sa mère n’est pas elle-même, puisqu’il s’agit de Norman depuis plus de dix ans.

Enfin, l’aspect novateur de Psychose se traduit par la photographie anguleuse de John L.Russell et aux choix des cadres et de la focale. L’intérieur du manoir des Bates est filmé à travers une multiplicité de plongées verticales jusqu’alors inédites cinématographiquement. Ajoutés aux jeux de clair-obscur sur le visage de Norman, tout ceci amplifie la teneur des mécanismes de l’horreur et fait de Psychose un exercice de style radical.

Cordes amères et positionnements narratifs

Impossible d’analyser le plus grand film de la décennie sans évoquer la bande originale de Bernard Hermann, un habitué d’Hitchcock puisqu’il a composé la musique de huit de ses long-métrages. En 1960, cette partition à cordes sèches et stridentes, mêlée de notes suraiguës, se veut expérimentale. Sa présence provoque l’effroi et traduit l’horreur. Plus qu’une bande originale, c’est une expérience.

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Si le corps narratif de Sueurs Froides est celui du scénario à spirales (où le personnage principal revient sans cesse à un seul évènement), celui de Psychose est plus délicat à théoriser même si nous décernons, dès le générique, la figure du morcellement, par la façon dont le titre se fractionne : symbole de la folie de l’antagoniste souffrant de dissociation de l’identité.

Conclusion

Le pari du cinéaste était de « communiquer une émotion de masse grâce à l’art cinématographique ». En habile manœuvrier, les contemporains de Psychose furent pris au piège d’une expérience inédite, purement cinématographique : « Ce qui m’importe, ce sont les morceaux de films et la photographie, la bande sonore et tous les moyens techniques qui font que le public se met à hurler […] C’était le cinéma seul qui donnait aux gens de l’émotion. » Une émotion perverse au service du spectateur, faisant de ce long métrage un écrin révolutionnaire du septième art.

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