Critique de Aniara – 2018 – Pella Kagerman & Hugo Lilja

aniara

Suite à une guerre nucléaire ou un désastre écologique, les humains doivent évacuer la Terre. De gigantesques vaisseaux spatiaux quittent la planète ravagée en direction des colonies de Mars. Le voyage est prévu pour durer trois semaines. Mais une collision hautement improbable et un dysfonctionnement détournent Aniara, l’un des vaisseaux, de sa trajectoire hors du système solaire. Commence alors une dérive sans fin dans l’espace. Comment la vie peut-elle se maintenir et pour combien de temps ?

Un ferry de l’espace

A quoi ressemblerait l’arche de Noé à l’heure du consumérisme et de la technologie triomphante ? Pour s’en faire une idée, on peut évoquer d’une part ces paquebots de croisière, hauts comme des buildings, et d’autre part les grands ferrys qui effectuent la liaison France-Angleterre. Dans le premier cas, on n’échappe pas à l’empilement des cabines exiguës, ressemblant à des mini-studios de luxe. Dans le deuxième cas, c’est l’aspect centre commercial qui prime avec alignement de salons et de bars plus ou moins chics selon les étages. Exactement ce qu’on voit dans le film. L’Aniara est un ferry de l’espace où les passagers, pris en charge par tout un personnel de bord, partagent leurs cabines avec lits superposés et rejoignent en escalator des supermarchés géants bien achalandés ou des centres de loisirs.

Si ce n’était pour les clients une nécessité de survie que de quitter la Terre, on imagine facilement un voyage d’agrément où la vraie destination, c’est le vaisseau lui-même. L’itinéraire est à la limite moins important que le plaisir de profiter des équipement mis à disposition, les escales étant inexistantes.  C’est la raison pour laquelle, le commandant ayant fait croire aux passagers – pour les rassurer – qu’ils pourront faire demi-tour en moins de deux ans, les premiers mois se déroulent dans une angoisse collective atténuée par le bon fonctionnement de tous les services et la culture des algues. On peut continuer à siroter son whisky et à faire du sport. Mais à partir de la troisième année, les illusions s’évanouissent.

Il s’agit de l’adaptation d’un long poème suédois écrit par Harry Martinson entre 1953 et 1956, à une époque où la bombe atomique et la Guerre froide préoccupaient davantage que le réchauffement climatique et l’empreinte écologique. Dans le film, un certain flou est maintenu sur la cause exacte du grand exode. Le poème, divisé en chants, conte le dernier voyage de l’humanité, le mot « Aniara » venant du grec ancien qui signifie tristesse, désespoir. Cette forme inhabituelle pour un récit d’anticipation se retrouve dans la construction du film qui choisit, en suivant quelques personnages, de ne pas raconter une ou plusieurs micro-histoires individuelles, comme dans un banal film catastrophe. Les deux principaux « personnages » sont en réalité Aniara et la Mima. Qu’est-ce que la Mima ?

Un suicide d’ordinateur  

La Mima paraît d’abord être un dispositif mi-technologique mi-organique, dans une salle vide aménagée permettant aux passagers, détachés de leurs corps, de revivre des moments du passé de la Terre et leurs propres souvenirs grâce à des influx venant d’un plafond vibrant. Les clients doivent se tenir à plat ventre, le visage sur un coussin, comme des fumeurs d’opium privilégiant une position allongée particulière.

Ensuite, on comprend que La Mima n’est pas une simple machine sophistiquée mais une intelligence artificielle, peut-être un organe, capable de sonder la psyché, et pouvant, le cas échéant, prendre des décisions contraires à son programme. Le nombre de clients devenant exponentiel, la Mima – qui se nourrit des souvenirs, des peurs et des espoirs des hommes pour ensuite les reconfigurer en images idéalisées – cesse de fonctionner intentionnellement. Y a-t-il seulement saturation de données ? La Mima commence à divaguer en délivrant des messages vocaux qui ressemblent à des poèmes. La machine intelligente ne peut plus ou ne veut plus traiter l’information et son opposition se traduit d’abord par une incohérence verbale, ensuite par une forme de suicide. La Mima a le comportement exactement inverse à celui de Hal dans 2001 L’odyssée de l’espace. Quand Hal, se dressant contre le destin de survie de l’espèce humaine, veut éliminer le facteur humain qui lui paraît inutile, la Mima s’élimine elle-même, anticipant par son choix la fin programmée de tous les passagers. Si elle est un ordinateur quantique, capable d’interférer avec la mémoire humaine sans contrainte temporelle, elle connaît l’avenir d’Aniara et en tire les conséquences sur le présent.

La Mima serait la pseudo-conscience atemporelle d’Aniara, si ce mot avait un sens pour un système informatique. En choisissant de s’éteindre définitivement, elle met en danger la femme du nom de Mimaroben qui l’a peut-être conçue et accueille les visiteurs. Cette femme sera accusée de négligence, arrêtée, libérée et elle inventera un succédané aux mondes virtuels de la Mima par des projections dans l’espace d’images géantes en couleurs méchamment pixelisées.

Qu’est-ce que le Yurg ?

Un des choix les plus remarquables des auteurs, à la fois scénaristes et réalisateurs, est d’avoir découpé le film en séquences correspondant chacune à une année précise et précédées d’un titre. Cela donne : 3ème année : Le Yurg – 4ème année : Les cultes – 5ème année : Le calcul – 6ème année : La lance – 10ème année : le jubilé – 24ème année : le sarcophage. Et cela continue mais je m’arrête là.

La tension et la curiosité sont grandes pour le spectateur quand les titres s’affichent sur l’écran. Que peut bien être le Yurg ? Quels cultes, forcément étranges, l’humanité mourante a-t-elle inventés ? De quel calcul s’agit-il ? Etc. Pour ne pas spoiler, je me garderai de répondre. Sachez seulement qu’il faut bien trouver un moyen de « passer le temps » dans une société de consommation effrénée quand les marchandises commencent à manquer. Jamais pourtant les auteurs ne portent un regard méprisant ou complaisant sur ce qu’ils nous laissent deviner. La retenue, presque la discrétion, est de rigueur. Voilà qui nous change des spectacles racoleurs et bruyants qui inondent les écrans.

Cru et intense, ce film laisse une empreinte durable. Le scénario réussit à éviter bien des écueils, notamment celui du catalogue des comportements attendus : hystérie collective, émeutes, larmoiement et fatras psychologique. Rien de tout ça ici. Les auteurs ont préféré nous offrir des tranches de vie, courtes et expressives, ouvrant des fenêtres étroites sur l’évolution finale de cette humanité prisonnière et condamnée. On a parfois le désir d’en savoir plus, de pénétrer plus avant dans l’intimité de ce sépulcre volant mais, justement, nous ne sommes pas sur le Titanic avec cette fausse ubiquité du témoin extérieur qui se retire avant la fin. La progression hachée, par bloc temporel, la sécheresse du montage et la soudaineté des coupes nous laissent pressentir tous les drames cachés, les cauchemars, tous les excès aussi présentés avec une sobriété et un réalisme qui font frémir. On se prend à avoir peur car nous sommes, à notre insu, embarqués avec eux dans cette terrifiante épopée.

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