Si Everybody knows d’Asghar Farhadi a ouvert l’édition 2018 sans véritablement faire d’étincelles, le Festival de Cannes 2018 tient enfin son premier film évènement avec Leto. Sur le tapis rouge d’abord, avec un soutien fort au réalisateur Kirill Serebrennikov assigné à résidence en Russie suite à son arrestation en plein tournage de Leto justement. Dans la salle ensuite, avec un tonnerre d’applaudissements et une belle Standing Ovation en fin de projection. Et enfin, et surtout, à l’écran, avec un film engagé, musical, libre, romantique, ambitieux, passionnant, joyeux, lumineux, beau… Bref, le premier coup de coeur de beaucoup de festivaliers et de l’auteur de ces lignes.
Durée : 2h12
Sortie en France le 05 décembre 2018
Synopsis
Leningrad. Un été du début des années 80. En amont de la Perestroïka, les disques de Lou Reed et de David Bowie s’échangent en contrebande, et une scène rock émerge. Mike et sa femme la belle Natacha rencontrent le jeune Viktor Tsoï. Entourés d’une nouvelle génération de musiciens, ils vont changer le cours du rock’n’roll en Union Soviétique.
Summer of love and rock
Leto (qui signifie « L’été » en russe) relate les débuts du chanteur de rock Viktor Tsoi, icône russe en URSS dans les année 80 avant son décès accidentel en 1990. Si Viktor a bel et bien existé et marqué de son empreinte le rock en Union Soviétique, Leto n’est pas pour autant un biopic classique. Déjà, le film se déroule seulement sur quelques mois, dans la ville de Leningrad (aujourd’hui Saint Petersbourg). Ensuite, de nombreux éléments sont fictionnels.
Le film s’intéresse tout particulièrement à la rencontre entre Viktor, son mentor Mike, et la femme de celui-ci, Natacha. Si la romance va donner un certain fil conducteur au film, on doit tout de même reconnaître que Leto est surtout un film d’atmosphère. Les personnages ne nous sont pas vraiment présentés et ne sont pas forcément approfondis. Le réalisateur Kirill Serebrennikov semble bien plus intéressé par un certain état d’esprit, partagé par ce groupe et leurs icônes.
Si on ne peut pas non plus parler de comédie musicale, de nombreuses séquences chantées parsément le film. Il s’agit d’ailleurs bien souvent de classiques du rock comme Lou Reed à Iggy Pop. Le cinéaste filme avec énergie ces jeunes épris de liberté, que ce soit dans leur vie, en amour ou dans la création. Plutôt que d’insister sur la fragilité de ces rêves et de ces vies, il dynamite tout ce qu’il peut avec énergie et bonne humeur. L’image, majoritaire en noir et blanc, est souvent destructurée avec diverses effets graphiques ou des passages en couleur. La caméra, quasiment toujours en mouvement, accompagne autant les comédiens dans leurs mouvements que les différents morceaux musicaux.
La narration elle-même bénéficie de ces effets, les séquences chantées permettant d’insuffler du rythme à chaque fois que les personnages sont trop sages au goût du cinéaste.
Mais s’ils sont sages, c’est aussi à cause de leur environnement. Leur musique est constamment jugée et étudiée, ce qui limite leur créativité et leur ambition. Il en est de même avec leurs amours, contrariés par les conventions. S’ils n’ont pas trop peur d’exprimer leurs désirs, en phase avec leur aspiration à la liberté, ils n’osent pas les assouvir pleinement.
Certains reprocheront peut être une intrigue et des personnages pas assez aboutis, mais la plupart des spectateurs devraient pouvoir se laisser bercer par cette jolie mélodie douce amère, pétillante et irréverentieuse. Si Leto n’est pas une comédie musicale ou un biopic, il réussit à être beaucoup plus de choses : une romance, une récit historique, un portrait et un cri du coeur, un plaidoyer fort. Un film sur la liberté qui trouve logiquement sa place au Festival de Cannes qui s’est toujours émancipé des interdits pour projeter des films et défendre la création et la liberté des artistes.