Mythique cinéma indien muet à la fondation Pathé

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Les spectacles de lanterne magique furent d’abord d’importation britannique en Inde puis il y eut une version locale à partir de 1892 qui perdura jusqu’en 1918 avant de disparaître, concurrencée par le cinématographe. La première séance, organisée par des envoyés des frères Lumière eut lieu, six mois après Paris, le 7 juillet 1896 à Bombay, le même jour qu’à la cour du tsar à Saint Petersbourg. D’autres procédés furent présentés dans l’Inde coloniale, à Calcutta dans l’est et à Madras au sud. On vit apparaître des sujets « indiens » mais tournés par des opérateurs étrangers. Le premier réalisateur indien est le photographe Save Dada tandis que Hiralal Sen filmait des représentations théâtrales à Calcutta. La première salle ouvre à Madras en 1900 mais le spectacle cinématographique reste itinérant pendant longtemps.

Homme d’affaire et propriétaire de salles, Madan devient à la fois producteur, distributeur et exploitant. Il fait construire le Elphinstone Picture Palace à Calcutta. C’est l’ère du pré-studio : actualités et films étrangers se partagent le marché. Français, Italiens, Américains et même Russes colonisent les écrans. Le premier film indien de fiction date de 1912 et présente la vie d’un « saint homme » selon la tradition dévotionnelle. La même année est annoncée dans la presse une première version de Savitri, dans la veine mythologique qui allait devenir si féconde. Ainsi, les deux genres les plus représentatifs s’imposent d’emblée. L’année 1913 marque à Bombay l’entrée en scène de Phalke, sorti des écoles d’art, avec Raja Harishchandra, d’après le Mahabharata, dont il reste des fragments. D’autres films aussi du même auteur ont survécu, racontant des épisodes de la vie de Krishna. C’est en voyant une Vie du Christ  en 1910 que Phalke décida de fonder sa maison de production et d’illustrer la vie des dieux. Les rôles féminins étaient d’abord tenus par des hommes. Plutôt ignorée des journaux en langue anglaise, cette intégration du domaine religieux dans le nouveau médium fut reçue favorablement par le public indigène. C’est la naissance d’une industrie, avec finalement des actrices venant du théâtre. A partir de 1917, le cinéma indien est lancé et accompagne souvent l’éveil du sentiment national et anti-colonial dans le contexte du mouvement Swadeshi. C’est le cas des films de Baburao Painter au début des années 1920 dont Savkari Pash (1925), à thème social et réaliste, qui eut un beau succès à l’époque.

Les premiers films de fiction tournés à Calcutta à partir de 1917 étaient des adaptations de pièces de théâtre populaires de style Parsi. Réalisateurs et acteurs sont parfois étrangers, surtout italiens, ce qui donne un aspect de coproduction à Savitri (1923). Bilet Pherat (1923) est une satire sur le penchant des Indiens, éduqués à l’occidentale, à mimer les manières et les valeurs de l’étranger. Taj Mahal Film, une compagnie de Calcutta réalise Andhare Alo (1922) un mélodrame moderne adapté d’un roman du très réputé Saratchandra Chatterjee. A Madras, c’est un commerçant en pièces détachées qui produit la première fiction, aussi en 1917, suivi par Venkiah et son fils Prakash, contactés par le missionnaire irlandais T. Gavan Duffy pour l’aider à réaliser son film de propagande missionnaire, The Catechist of Kil-Arni (1923). De nombreuses compagnies apparaissent dans la deuxième moitié des années 20.

Bombay domine le pays par son dynamisme et la naissance de Bollywood avec son aspect cosmopolite cultive le phénomène des stars locales. La compagnie la plus importante est Kohinoor qui lance, entre autres, Raja Sandow et Fatma Begum qui furent aussi metteurs en scène. Pour Kohinoor, Rathod réalise Bhakta Vidur (1921) allégorie politique pro-Gandhi déguisé en film mythologique, et qui connut la censure. L’acteur cascadeur Master Vithal était considéré comme le « Douglas Fairbanks indien » dans des adaptations des Mille et une nuits. La compagnie Ranjit en 1929 récupéra la star Gohar de Kohinoor et devint extrêmement prestigieuse à la fin du muet qui fut plus tardive en Inde, comme d’ailleurs au Japon.

Les différents genres étaient les suivants  : mythologique, dévotionnel, social, historique, à costume, cascades, comédie, adaptation littéraire et policier. Une bonne douzaine de compagnies, certaines éphémères, ont produit environ 1300 films muets, jusqu’à une centaine par an en 1926-1927. Parmi les actrices les plus célèbres, on trouvait une femme d’origine juive Sulochana (de son vrai nom Ruby Myers) ou des anglo-indiennes (Patience Cooper). Les producteurs indiens étant plus exigeants avec les exploitants que les distributeurs étrangers, les meilleurs salles des grandes villes étaient réservées pour les films américains, d’ailleurs favorisés par la bonne société. Mais le peuple marquait sa préférence pour le cinéma national malgré les conditions de projection parfois défectueuses et le prix du billet, légèrement supérieur. La censure ne s’exerçait pas vraiment sur les scènes d’amour  mais plutôt sur les allusions politiques jugées dangereuses dans un pays divisé en communautés :  nationalisme explicite et appel à la révolte étaient réprimés. Les intertitres pouvaient être rédigés en quatre langues, dont l’anglais évidemment. Les bonimenteurs en rajoutaient et l’ accompagnement musical était de règle. L’influence d’Hollywood avec des appellations valorisantes comme la « Mary Pickford indienne » ou l’ « Eddie Polo indien » n’a jamais supprimé l’engouement culturel populaire, que ce soit dans les thèmes privilégiés de la grande Tradition ou dans le traitement assez frustre : scènes frontales, adresses aux spectateurs, style théâtral.

Du 19 mars au 6 avril, la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé présente, en association avec la National Film Archive of India une rétrospective du cinéma indien muet, avec de nombreux inédits restaurés jamais projetés à Paris ou à Pordenone, même dans le cadre des rétrospectives antérieures. Il s’agit donc d’une occasion rare de découvrir un continent ignoré ou très mal connu du patrimoine au-delà des clichés sur Bollywood véhiculés par les sous-produits contemporains. Si la grande majorité de la production a disparu (et c’est hélas aussi le cas pour les années 30 et 40), les bobines rescapées et quelques films complets donnent tout de même un aperçu non négligeable de cette aspiration collective à l’épopée, à la dévotion et à l’histoire mythique.

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